usieurs kilometres le front
de bataille. Enfin, le general Chanzy, qui, avec la spontaneite du
genie, palliait les fautes de ses lieutenants en en tirant parti,
ordonna aux generaux Barry et Maurandy de reorganiser leurs divisions a
Mer et a Blois. Il leur confia le soin de defendre les ponts, dont les
Allemands allaient chercher a s'emparer, en effet, pour nous tourner.
Arrete dans la fievre d'une retraite infernale, ce dispositif etait
tel que de longues deliberations n'eussent pu le rendre meilleur. Il
assignait au 48e de marche son bivouac pres du village d'Ourcelles, a
un kilometre du quartier general. La plaine ondulee, ou etaient dresses
quelques groupes de tentes, s'ouvrit a nous dans la matinee du 6
decembre. Le temps etait clair. Quelques sonneries familieres egayaient
le panorama, qui, naguere, nous avait paru plus triste, dans notre
premiere marche de Mer sur Chateaudun. Cette impression etait favorable.
Tout embryonnaire qu'il etait, le camp apparaissait enfin, comme
une digue elevee contre la debacle. L'ordre renaissait; la force en
resulterait peut-etre, et, en tout cas, la possibilite de tenter de
nouveaux efforts plus honorables qu'une fuite eternelle.
Pourtant, pourtant. Il ne faut pas se faire meilleur que nature. La
preoccupation de rallier le regiment avait tout prime dans notre esprit
depuis trente-six heures que la debandade s'etait produite. A tel point
que nous avions a peine repris haleine quelques instants, la seconde
nuit, sous un hangar de je ne sais quel village, et nous n'avions eu
d'autre nourriture que des miettes de biscuit. Aussi, lorsque nous eumes
acquis la certitude que le but etait atteint, qu'a la moindre alerte
il ne nous fallait pas un quart d'heure pour retrouver nos
chefs, l'estomac--la bete, si l'on veut--reprit ses droits. Un
village--Cravant, nous dit-on--offrait l'attirante animation d'un lieu
habite. Irresistible tentation, il y avait une auberge ouverte. Nombre
de militaires l'encombraient deja. Daries et moi, nous trouvames encore
un coin libre et deux chaises.
Ah! quel repas! Quelle volupte de manger a sa faim et de boire a sa
soif! Le menu, cependant, n'etait pas tres varie. Un hareng saur
d'abord, un hareng saur ensuite, et je ne m'en suis pas degoute pour
cela. Au contraire, j'ai garde pour ce comestible un gout profond, une
sorte de culte, la reconnaissance de l'estomac. De loin en loin, il faut
de toute necessite que je lui sacrifie, bien qu'a vrai dire il me
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