sept cents metres, dit-il,
commencez le feu!"
Mais neuf balles sur dix devaient se perdre. Nous n'eumes pas le temps
d'en perdre beaucoup. Presque immediatement, stimule d'ailleurs par une
compagnie du 10e bataillon de chasseurs, qui s'etait deployee a notre
droite et nous avait devances, M. Eynard avait de nouveau commande en
avant et au pas gymnastique. Rapidement nous franchimes ainsi cinq cents
metres. "Tout le monde par terre. Tir a volonte, a deux cents metres.
Aux artilleurs, et visez bien!" ajouta notre chef, toujours debout, lui,
pour mieux apprecier la justesse de notre tir.
Pour moi, j'avais eprouve une compression violente et rapide au coeur,
comme un tremolo silencieux. Puis, plus rien. L'ordre donne, il n'y
avait plus ni hesitation ni scrupule. Je tirais, je chargeais; je tirais
toujours, avec calme et sang-froid, visant de mon mieux, comme a la
cible, sans fievre ni remords. Il n'y a pas de comparaison a etablir
entre l'impression de ce moment et le tressaillement penible qu'avait
provoque le premier bruit des balles, a la nuit tombante. Occupe
d'executer methodiquement la charge, je ne songeais pas a trembler,
quoique le sifflement fut autrement intense et soutenu que la veille.
L'apprehension vague--on ne peut trop le repeter--est pire que le danger
reel, defini; le danger se laisse regarder sans terreur, pourvu qu'on le
regarde en face.
Dans le mouvement incessant des artilleurs, au sein de la fumee qui se
renouvelait, s'epaississait sans cesse, il etait impossible de les viser
individuellement; mais, les uns a plat ventre, d'autres, comme moi, un
genou en terre, ce qui est une excellente position pour assurer le tir,
nous prenions tous pour objectifs les flammes qui, d'instant en instant,
jaillissaient de cette nuee blanche.
A cent cinquante metres environ, nos coups portaient: nos balles firent
du ravage. "Les huit pieces qui avaient pris position au debut sur la
droite de Villechaumont--relate le rapport allemand--se portent bientot
plus a l'ouest, vers la butte du moulin a vent; canonnees par trois
batteries francaises, criblees par les feux de l'infanterie parvenue
a petite portee, elles subissent des pertes tres serieuses, qui les
obligent a retrograder momentanement pour se remettre en etat de
combattre."
Leurs obus avaient tous passe fort au-dessus de nous. En revanche, dans
le champ nu, decouvert, d'ou nous les fusillions sans relache, nous
etions a la merci de l'infanterie que nou
|