oint vaines. Lui et moi, nous regagnames les
jardins de Cernay sans nouvel accroc. La, le capitaine se hata de
rallier la seconde section. Au moment ou, comme nous l'avions fait trois
quarts d'heure plus tot, le reste de la compagnie s'elancait dans le
champ que, sans figure de rhetorique, je venais d'arroser de mon sang,
je reconnus la voix eclatante de Nareval. Avec un entrain qui me rejouit
et un instant effaca l'impression des tristes details de la veille, il
criait: "Allons, les enfants! Allons, en avant, et vive la Republique!"
Comme je poursuivais mon chemin vers l'interieur du village, le
capitaine demanda, courrouce: "Quel est l'homme qui s'en va?--C'est le
fourrier, lui repondit le sous-lieutenant avec un ton de bienveillance
tout nouveau pour moi. Il est grievement blesse.--C'est bien!" ajouta M.
Eynard en se disposant a suivre le lieutenant Barta et le sergent-major
Harel, tandis que mes camarades nettoyaient leurs armes.
"Comment, deja, mon pauvre ami?" me cria le brave Villiot en guise
d'adieu. M'etant retourne a la question du capitaine, j'allais repondre;
mais, au meme instant, un leger emoi se produisit parmi ceux qui
couraient en avant. A la vue d'un obus foncant sur eux, le lieutenant
leur jeta l'avertissement des tranchees de Crimee: "Gare la bombe!
Couchez-vous!" Toute la section s'abattit ensemble, pendant que
l'implacable projectile achevait sa course en bourdonnant. Une lueur, un
eclatement, aussitot suivi de la voix du lieutenant Barta: "Debout!
en avant!" Tous les hommes se redresserent et repartirent au pas
gymnastique.
Tous, sauf un qui, la face en terre, ne bougeait plus. Deux soldats de
la premiere section s'avancerent pour l'aider a se relever: j'attendis
leur retour avec angoisse. Apres avoir souleve le malheureux et l'avoir
repose a terre, ils revinrent, tres pales. "Le sergent Nareval", dit
l'un, et, avec une expression d'horreur invincible, l'autre ajouta;
"Tue. Il a le crane ouvert."
Depuis ce jour je crois aux pressentiments et je laisse glisser sur moi
les railleries que parfois les sceptiques ne me menagent pas. En allant
au feu, sous la pluie des balles, je n'avais jamais ete preoccupe, a
l'exces, de la pensee de la mort, tout en mesurant assez froidement le
danger. Quoique endommage, plus, il est vrai, que ne le prevoyait mon
beau-frere quand il prophetisait plaisamment la veille de mon depart,
je suis cependant revenu. Louis Nareval, au contraire, d'aussi bonne
volonte que
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