ion, j'avais ete enveloppe dans des vetements civils. La fievre
aidant, je n'etais guere qu'un paquet inerte, presque inconscient. Il
me souvient pourtant que, devenu le point de mire des voyageurs, je fus
pris a la gare d'un mouvement d'enfantine coquetterie. De ma main libre,
j'arrachai au moins la coiffure d'invalide dont nos amis m'avaient orne:
il me repugnait de rentrer dans ma ville sous le casque du pacifique roi
d'Yvetot. Au bout du trajet, autre motif de protestation. Une civiere
avait ete amenee pour moi de l'hopital militaire a la gare de Toulouse;
je refusai d'y prendre place; je refusai energiquement, et rien ne put
me faire ceder, car ce n'etait plus la coquetterie qui m'animait: mais a
aucun prix je ne voulais etre rendu a ma mere comme un cadavre.
A ce moment, sur le quai de la gare, monseigneur Desprez, l'archeveque
du diocese, se trouvait la fortuitement; il fit quelques pas a ma
rencontre. Apres m'avoir adresse de bienveillantes paroles, il me donna
sa benediction. Puis une voiture m'emporta avec mon pere, et, enfin, par
un dernier effort, je pus recevoir debout l'embrassement maternel.
Douce etreinte, accompagnee de larmes dont le seul souvenir me parait
plus precieux que la possession d'une riviere de diamants. Oui, nous
pouvions nous embrasser, nous embrasser de bon coeur. Au milieu du
desastre national nous nous sentions la conscience legere, exempte de
tout reproche.
Dans cet etat, le bonheur ineffable du retour etait d'autant plus
appreciable, que le danger avait ete reel. Ce danger, le mal physique le
rappelait, pour la jouissance du revoir. Un rien, une legere deviation
de la balle, j'etais tue et perdu pour ma mere; elle etait perdue pour
moi. Au contraire, je lui etais rendu, pleinement rendu, pour redevenir
pendant quatre longs mois son petit enfant. Oui, toutes les meres ont
prodigue au leur des soins de toutes les heures, heures de jour et
heures de nuit: elles leur ont temoigne un devouement absolu, sans
borne; mais la mienne m'a prodigue ces soins, m'a en un mot donne la vie
deux fois, et, la seconde fois, j'etais conscient de tout; il m'a donc
ete possible de lui vouer une reconnaissance presque proportionnee a sa
tendresse.
Si, pour apprecier cette immense affection, il m'avait fallu un
contraste, ce contraste ne m'eut pas manque. Puisque j'avais survecu, je
devais au malheureux Nareval d'accomplir son dernier souhait, aller dire
a ceux dont il m'avait donne le nom, le soir du
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