ativement les
miens. Mon regard, s'il s'elevait, ne depassait pas la hauteur du
havresac qui sous mon nez se balancait comme un esquif, avec le frequent
tressaut que lui imprimait un sec haussement d'epaules. Cet as de
carreau marchant, je le regardais, je le fixais desesperement, pour
subir son attraction magnetique, pour contre-balancer l'horrible poids
de celui qui me sollicitait en arriere, me tiraillait sous les bras,
m'ecrasait les epaules, comme si, de minute en minute, il eut grossi et
se fut reellement appesanti.
Avec une terreur qui croissait en proportion de l'affaiblissement de mon
corps, je me demandais si jamais j'arriverais au bout de l'etape. Or,
si a cette premiere epreuve j'etais vaincu, comment esperer fournir une
carriere plus longue? Ma bonne volonte, mon ardeur patriotique, tous mes
elans sinceres allaient-ils donc etre eteints, annihiles? Etait-il donc
inutile et vain d'avoir du coeur? Ne valait-il pas mieux posseder de
solides jarrets?
A la derniere pause, j'eus l'imprudence de m'asseoir. Quand le clairon
sonna, mes jambes etaient rouillees, inertes. Je voulus me lever.
Impossible. Mon fardeau me clouait sur le tas de pierres ou je m'etais
echoue, au bord de la route, et, plein de desespoir et de rage, je vis
defiler tout le 51e regiment qui suivait le 48e. Par un supreme effort,
je m'etais redresse pourtant; mais, loin de pouvoir regagner le terrain
perdu, je me voyais distancer toujours plus. Non seulement mes effets et
mon sac me pesaient, mais aussi mes galons: je m'en trouvais indigne,
j'en etais honteux. Volontiers je me les fusse arraches, et je me
demandais avec inquietude comment j'allais m'excuser aupres de mes
officiers d'etre un trainard.
La brigade s'etait arretee au nord de la ville, le 48e a droite et le
51e a gauche de la voie ferree qui monte vers Beaugency. La nuit tombait
quand je rejoignis ma compagnie; il avait fallu du temps pour assigner
a chacun sa place: les faisceaux etaient formes, les tentes a peine
dressees. Officiers et camarades ne remarquerent pas mon retard ou
feignirent de ne s'en etre pas apercus. Impossible de me rappeler si la
soupe fut bonne, ni meme si j'en mangeai. Me reposer, m'etendre, dormir,
voila ce qu'il me fallait. N'importe ou. Necessaire est l'extreme
fatigue de la marche avec un chargement de bete de somme, pour vous
faire gouter les bienfaits du repos sous un illusoire abri et a meme la
terre humide.
Au redoublement de froid qui coincide
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