l'aller rejoindre a Patay. Patay, nom glorieux, car notre
Jeanne y fit prisonnier celui que l'Angleterre appelait "son Achille".
Jamais nous n'avions ete si allegres. C'est en chantant qu'a la
nuit tombante, nous primes la route qui passe a Gemigny, puis a
Saint-Peravy-la-Colombe, ou nous laissames les zouaves de Charette avec
le general de Sonis.
Depuis longtemps nous cheminions dans les tenebres--et aussi dans le
silence. Nos voix etaient lasses d'avoir compte "les canards, qui,
deployant leurs ailes, se confient a leurs canes fideles" et d'avoir
averti cent fois "le meunier que son moulin va trop vite, va trop fort".
Il nous semblait, de plus, indigne de faire retentir l'air de telles
puerilites, en approchant du terme de notre etape que marquait sans
doute un champ de bataille.
En effet, la division de l'amiral Jaureguiberry, bien secondee par la
cavalerie du general Michel, avait culbute l'ennemi a Villepion, non
sans eprouver quelques pertes. Le 16e corps couchait sur les positions
conquises. Seul son chef, le general Chanzy, etait encore a Patay. Il
se disposait a transporter son quartier plus avant, sur la droite, a
Terminiers.
Notre brigade recut l'ordre de prendre position au nord-ouest de la
ville, en attendant le jour. Le 48e s'avanca a deux kilometres, en
grand'garde, et les tentes furent peniblement dressees sur un front de
bataille d'au moins 800 metres. Quoique abrites par un repli de terrain,
nous grelottions sous la bise glaciale. Les sentinelles furent postees
par deux pour se garantir mutuellement du sommeil qui eut amene la
congelation des membres ou la mort.
Le general de Jancigny, qui commandait notre division, avait tenu a nous
conduire en avant. Ce fut lui, ou peut-etre Chanzy, qui se porta sans
escorte sur le point culminant du terrain que nous occupions. Sa
silhouette se dressa a la hauteur de nos yeux, comme une apparition. Le
croissant lunaire eclairait faiblement la longue criniere blanche de son
cheval arabe et faisait briller l'or de son kepi. Comme un grand
silence planait autour de nous. Le cheval, naseaux au vent, flairant la
lointaine odeur de la poudre et du sang, fremissait, mais se retenait
de hennir. A peine entendait-on, sur la terre gelee, le pas trainant et
fatigue des sentinelles, dont les baionnettes jetaient, par eclairs, des
reflets argentes.
Longtemps le general sonda de son regard la profondeur noire de la
plaine, que piquaient au loin, sur la ligne de l'horiz
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