sa pres de nous: "Lieutenant, dit-il
a notre officier, surveillez vos hommes. Nous sommes talonnes; pas de
trainards: ils seraient pris."
Quoi! etre ramasse par l'ennemi comme un vagabond par des gendarmes,
est-ce que telle devait etre ma destinee militaire? Sans doute, libre
a moi de vendre ma vie; mais aurais-je assez de vigueur pour la vendre
cher? Non, non; pour mourir dignement, utilement, il fallait etre a un
poste de combat, et il nous etait pour le moment interdit de lutter. Le
devoir, c'etait de fuir, se sauver. En avais-je la force?
Le lieutenant descendit un instant de son siege pour seconder Nareval.
Vite, j'en profitai pour me glisser sous la bache dans un si etroit
espace que je n'aurais pas pu m'y retourner. Peu m'importait, j'etais
couche sur un lit de foin sec. Un delicieux bien-etre m'envahit des que
je sentis repartir la voiture. Berce par le mouvement de la marche,
j'oubliai tout, Chateaudun detruit, la honte de la retraite, les menaces
d'etre fait prisonnier: je m'endormis, et il faisait grand jour quand je
rouvris les yeux. Frais, dispos, la fievre eteinte, le talon cicatrise,
j'etais sauve, gueri, et desormais a l'epreuve. Sans les attentions de
Daries, sans la charrette providentielle du convoyeur, Dieu sait ce
qu'il fut advenu de moi, dans cette vertigineuse retraite de Chateaudun
dont la precipitation n'etait peut-etre pas absolument justifiee? Mais
un pur sang emballe--et tel etait notre fougueux general--mesure-t-il
l'espace qu'il devore?
Vers sept heures il y eut une halte, le temps de preparer le cafe. Aussi
le capitaine Eynard me fit-il reclamer des provisions par un caporal.
Pour proteger la retraite, nous dit ce dernier, la compagnie avait
ete deployee en tirailleurs pendant la nuit, nouvelle qui fit bondir
Nareval. Il se calma en apprenant que l'ennemi, si c'etait lui, avait
seulement revele sa presence par d'inoffensifs coups de sifflet. Au bout
d'une heure de repos, la colonne reprit sa route, encore.
Personnellement, apres un bon somme, je n'avais pas grand merite a
marcher d'un pas allegre; mais, autour de moi, tout le monde etait
fourbu, rendu, et, dans cet etat de lassitude extreme, chacun songeait
a sa propre souffrance, sans qu'il lui restat de pitie pour les autres.
Notre convoyeur fut un peu victime de cet egoisme feroce.
Grand, l'air benet, sous son vieux chapeau de feutre aux bords moins
larges que ses oreilles en contrevents, dans sa blouse bleu pale a
piqures bla
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