me bon sens. Ce tableau figurait a souhait la
paix bienfaisante et feconde.
Combien de temps ces braves gens en jouiraient-ils? Au lieu de donner
une hospitalite volontaire, ne subiraient-ils pas bientot, comme le
tiers de leurs semblables, l'occupation forcee d'un brutal ennemi?
L'eloignement de ce supplice, de cette honte, ne dependrait-il pas
de notre conduite? Si vraiment l'immolation d'un des notres devait
enflammer les courages et communiquer aux faibles de la force, est-ce
que, devant les perils a enrayer, le sacrifice ne se legitimait pas?
Nos vetements ayant ete assez seches, il nous fallut remercier de son
aimable accueil la jeune femme que nous ne devions plus revoir. Son mari
nous conduisit dans un grenier bien clos, tout garni de paille fraiche
et de foin odorant. La nous goutames quelques heures d'un sommeil
reparateur, embelli de doux reves. La victoire nous souriait; tous
nos freres etaient venges, l'ennemi vaincu, refoule, aneanti. Songes,
mensonges. Les notres, si seduisants qu'ils fussent, ne purent nous
detourner longtemps de la realite. Bien avant le reveil, nous nous
glissions sous notre tente. Cela se fit sans encombre, Dieu merci!
A sept heures, le cafe bu tout chaud, nous prenions, avec armes et
bagages, le chemin de la petite ville de Mer, situee a une vingtaine
de kilometres de notre camp, au nord-est de Blois. La brigade allait
s'incorporer au 17e corps d'armee. Elle etait confiee a un ancien
colonel d'infanterie de marine, le general Charvet, du cadre auxiliaire.
EN CAMPAGNE
I
Vingt kilometres a parcourir, c'est une petite etape. Le temps etait
sombre, assez favorable pour la marche; mais le sol, detrempe par la
pluie de la veille, mollissait sous les pieds. Et puis, notre bagage
etait au grand complet. Fourniment, vivres, cartouches, rien ne
manquait. La tente, humide encore, pesait fort. Quand, au bout d'une
heure, retentit de distance en distance, comme repercutee par un
interminable echo, la sonnerie de la halte, tous, et moi le premier,
nous poussames un long soupir de soulagement; mais il etait a peine
exhale, que les clairons, l'instant d'avant si charitables, nous
ordonnerent cruellement de repartir.
Grise et penible journee, qui n'a rien laisse dans ma memoire de
l'aspect du pays. Nous avions tout au plus parcouru le quart du chemin,
et il me semblait que j'etais deja a bout de forces. Je ne voyais que
les deux pieds qui devant moi s'agitaient, fuyant altern
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