este trop hardi de sa part, pour me
jeter dans une situation pareille, et, par cela seul, je sentais monter
en moi une rancune contre lui. Or je l'apercus, entr'ouvrant a ma vue la
portiere d'un compartiment de deuxieme classe qu'il occupait seul
avec Villiot. Pour m'aider a monter, il me tendit la main. C'etait
delicatement me faire des excuses. Elles m'allerent au coeur, je
l'avoue, dans l'etat particulier d'esprit ou je me trouvais.
Installe commodement entre mes deux meilleurs camarades, je leur
rapportai la scene dont j'etais emu encore. Harel, faisant tout bas le
meme rapprochement que moi, palit un peu, en mesurant les consequences
possibles de la vivacite de son caractere. "Bah! dit-il, le conseil de
guerre expliquera tout cela." Car nous ignorions qu'il n'y avait meme
plus pour nous de conseils de guerre. Nous n'avions plus droit qu'a une
justice sommaire, celle des _cours martiales_.
Le train nous emportait cependant vers Blois, notre nouvelle
destination. Nous passames par Orleans, que les Allemands avaient evacue
apres leur defaite de Coulmiers. Mais la voie etait a peine retablie. Il
fallait avancer prudemment, toujours sur le qui-vive. L'ennemi pouvait a
tout instant reparaitre, et cette pensee nous surexcitait. Elle rompit
l'ennui d'un trajet de dix-huit longues heures.
V
A Blois, on nous fit etablir nos bivouacs au sud-ouest de la ville,
au dela de la gare. Nos tentes s'alignaient tout le long d'une avenue
boisee qui aboutit a la foret; les dernieres, les notres, en touchaient
la lisiere, et il y avait comme une sorte de mystere inquietant dans ce
voisinage immediat. Bien que toutes les feuilles fussent tombees, les
troncs d'arbres formaient, par leur foule, un mur impenetrable aux
regards et d'ou semblaient s'echapper, comme des fantomes, les vapeurs
du matin.
La vie de Nevers se continua la, par un temps meilleur. J'y achevai plus
agreablement mon apprentissage de fourrier. Il ne me laissait pas un
instant de liberte, meme pour assister aux exercices. Preparation des
bons, direction des corvees, distributions de toute nature. Il n'y avait
pas de temps a perdre pour arriver a tout. Ce ne fut pas d'ailleurs sans
une certaine emotion que je pris charge des 18 000 cartouches destinees
a ma compagnie. Quatre-vingt-dix pour chacun de nous. Sur les
recommandations reiterees de M. Eynard, nous les logeames dans le
havresac, douillettement, de maniere a les bien garantir de l'humidite.
Ces soin
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