e reviendrais et que nous nous reverrions.
Elle avait le calme d'une sainte et contenait son immense douleur.
Durant toute la soiree elle avait ete souriante, heroique; parlant
peu, mais m'enveloppant sans cesse des caresses de son regard limpide;
retenant ses larmes, parce qu'elle savait que je n'aurais pas ete
joyeux si je l'avais vue triste; courageuse parce que j'avais besoin de
courage, car, m'ayant donne la vie, elle tenait a m'inspirer aussi les
vertus qui l'honorent: "Fais toujours ton devoir, me dit-elle simplement
en essuyant mes larmes comme au jour de mes premiers chagrins, et
n'oublie jamais Dieu, c'est le sur moyen de nous retrouver un jour.
S'il decide que ce ne doit plus etre ici-bas, ce sera dans un monde
meilleur."
Mais l'enfant s'etait retrouve en moi, et ma tendresse filiale
continuait de se repandre en un flot irresistible, inepuisable.
Quand je me reconnus, j'etais a ses pieds. Nous etions seuls. Reprenant
enfin courage, je me levai et m'eloignai avec effort. Mais, a la porte,
une idee me heurta: cet obstacle inerte allait la derober pour toujours
peut-etre a ma vue, placer entre elle et moi l'inconnu, la mort, qui
sait? Alors je revins vers elle; je m'elancai dans ses bras de nouveau
et la contemplai longuement.
Vingt annees d'etat maladif, six maternites et la mort d'un enfant
l'avaient amaigrie, affaiblie, sans pouvoir alterer sa beaute modeste
et sereine. Cette douce figure encadree de bandeaux noirs abondants,
ce profil si pur, ne les verrais-je donc plus? Ces beaux yeux bleus
au regard indulgent et tendre, ne se leveraient-ils plus sur moi? Ces
levres un peu fortes, d'ou jamais, jamais, aucune medisance ne
s'etait echappee, ne murmureraient-elles plus pour moi de consolantes
paroles?--Pourquoi, cependant? Parce que la patrie l'exigeait. La
patrie, abstraction tyrannique, valait-elle un tel sacrifice?
Il faut le croire, car mon affection filiale etait vive, profonde, et
pourtant, quand, apres avoir frenetiquement embrasse ma mere, je me
precipitai hors du salon, n'y voyant plus, ne pouvant plus parler, mon
coeur etait navre, dechire, mais il ne ressentait l'aigreur d'aucun
regret, d'aucun remords. Ma douleur etait saine et en quelque sorte
fortifiante.
Le lendemain, malgre l'heure matinale, mon pere et mes freres etaient
a la gare, accompagnes de plusieurs amis. Devant tant de temoignages
affectueux, je sentis pret a se renouveler l'acces de sensibilite de la
veille; je me hatai d
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