l. De ses fenetres, nous avions apercu le general
de Lorencez faire, naguere, son repas d'adieu. Il etait seul, vis-a-vis
de la generale, entre leurs enfants. Ce soir-la, le tic nerveux de sa
physionomie toujours grave paraissait s'accentuer. Le hardi soldat de
Puebla, peut-etre disgracie a tort, etait fonde a prevoir la funeste
issue d'une guerre imprudente. Cela seul eut justifie sa noble
tristesse,--a moins que son ambition ne souffrit d'avoir a jouer un role
efface aupres de celui de commandant en chef qui allait malheureusement
echoir a l'autre heros du Mexique?
Pour moi, une situation infime et de modestes devoirs facilement
remplis, tout cela me laissait une conscience legere. Tous mes
preparatifs etant termines, j'etais a l'une de ces heures ou, apres une
legere fatigue du corps, le repos qui le soulage donne en meme temps a
l'esprit toute sa plenitude et lui rend son entiere liberte. Heureux de
me trouver dans cette reunion amie, je ne songeais pas a remonter a sa
cause: mon coeur se completait par la sympathie generale qui semblait
rayonner vers moi comme une bienfaisante chaleur. Ma gaiete etait
pleine, franche, quoique sans eclat. Quel instant dans ma vie!
Des le commencement du repas, la conversation s'anima grace aux efforts
de chacun pour paraitre gai. On plaisante et l'on rit; puis on choque le
verre, pour boire aux exploits du troupier et a son heureux retour. L'un
de mes freres, collectionneur enrage, me fait promettre de lui rapporter
un souvenir prussien, et l'on me souhaite encore de revenir sain et
sauf. Pourtant mon beau-frere semble prophetiser: "Bah! quand vous
seriez legerement atteint, par exemple au bras gauche". A quoi je
reponds, a la toulousaine: "Certes je le voudrais bien", pour courir la
chance d'une riposte heureuse.
Le repas fut long. Passes au salon, nous achevions a peine de prendre le
cafe, que la pendule sonna onze fois. La caserne etait assez eloignee,
et je n'avais que la permission de minuit. Aussitot rappele au sentiment
de l'exactitude militaire: "Maman, dis-je en me tournant vers ma mere,
je vais partir."
Que se passa-t-il soudain en moi? Je me penchai vers elle, et, comme si
une main d'acier m'eut etreint la gorge, je fus un instant sans voix. Un
torrent de larmes s'echappa brusquement de mes yeux. Je sanglotai....
Je n'eus pas conscience du temps qui s'ecoula, pendant que, la tenant
pressee sur mon coeur, je balbutiais des paroles entrecoupees, lui
promettant que j
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