les jours.
VI
Aux caresses de la brise d'Orient, aux rayons du soleil qui les eclaire
en meme temps qu'Athenes et que Rome, les hommes, sous ce beau climat,
semblent imbus de sentiments artistiques, et animes d'ardeurs liberales;
ils aiment ce qui est beau et desirent ce qui est grand; mais la male
vertu et l'indomptable energie des peuples antiques leur font defaut
generalement. Le vent d'Italie parait leur insuffler surtout l'indolence
des lazzaroni, qu'ils secouent par saccades. Leur ordinaire occupation
consiste a discourir en buvant dans les vastes cafes de la Loge, plus
vastes que la place qu'ils bordent. Les themes a declamations ne
manquaient pas alors. Les voix s'elevaient trop haut, les discussions
s'echauffaient trop vite, pour permettre de reflechir sagement sur
l'inconstance de la fortune. Aux yeux de ce public severe au malheur,
l'armee avait fait banqueroute. Le retour des echappes des premiers
desastres etait l'occasion d'anathemes.
Que ces vaincus eussent eu la faiblesse, comme notre sous-lieutenant, de
signer la capitulation; qu'ils eussent achete leur liberte au prix d'une
blessure, ou qu'ils l'eussent reconquise par evasion au risque d'etre
massacres, tous etaient regardes, ou peu s'en faut, comme des traitres
et des laches. Capitulards, ce seul mot disait tout. Et ceux qui le
lancaient, aveuglement, cruellement, croyaient avoir le droit, s'etant
revetus de l'uniforme hybride de la garde nationale, de condamner
l'armee avant de s'etre donne la peine de faire leurs preuves.
L'armee, quant a elle, ayant longtemps fourni des gages de sa valeur,
ne s'expliquait pas bien l'infidelite de la gloire; mais elle savait,
a n'en pouvoir douter, qu'elle avait rachete ses defaites par plus
d'heroisme et de sang que ne lui en avaient coute les victoires d'antan.
Elle ne pouvait subir de bonne grace l'attitude parfois insultante de la
population.
Pourtant les pioupious, comme les moutons, sont endurants et modestes,
tant qu'on ne les fait pas trop enrager. Mais l'arrivee du depot de
cuirassiers envenima la situation. Ces hommes avaient appartenu a la
garde imperiale, ce qui, dans l'esprit de certains Perpignanais, etait
aussi honteux que de sortir du bagne. Or ces forcats liberes etaient
sans vergogne; ils avaient l'air avantageux qui caracterise tout bon
cavalier. Quand ils se promenaient par deux dans la ville, le bonnet de
police penche sur l'oreille, les rues, qui retentissaient du bruit de
leurs
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