hatie, plus que nous ne pouvions le regretter
lui-meme.
Pour nous distraire, nous n'avions pas cependant la societe des joyeux
comperes du premier voyage. Tous etaient restes au depot, et, outre que
nous n'etions pas gais naturellement, le grade nous isolait deja un peu
des simples soldats. D'eux-memes ils s'eloignaient de nous. Cette sorte
de solitude, en plein brouhaha, etait favorable au cours de mes pensees
a la fois heureuses et graves. Le train rapide m'emportait enfin vers
le but que m'avait assigne ma conscience, et, par une circonstance
inesperee, il allait m'etre donne de revoir mes amis, de recevoir dans
un baiser une nouvelle benediction de ma mere.
Dans cette saine disposition d'esprit, je ne m'expliquais pas que la vue
de ce pays ne m'eut pas frappe et charme a mon premier passage. Chere
terre de France, aux sites si divers, aux aspects admirables dans leur
variete, je m'en eprenais de plus en plus a cette revue panoramique,
parce qu'on s'attache en se devouant. Et n'allions-nous pas essayer de
la defendre? Qui sait si nous ne l'arroserions pas de notre sang?
De Perpignan a Narbonne, la voie suit le littoral, et, en certains
endroits, sur une chaussee de quelques metres a peine. D'un cote, la
mer, confondant la ligne de ses eaux avec le ciel, et, de l'autre,
d'immenses etangs bleus. Sur la cote, les pauvres villages de pecheurs
etagent leurs cabanes en amphitheatre, devant l'element qui leur fournit
la nourriture et souvent les engloutit. Le train semblait glisser sur
la mer. Le sifflet strident de la locomotive se perdait dans cette
immensite dont le calme n'etait trouble que par le cri de quelque
goeland effarouche, s'envolant de rocher en rocher.
La matinee s'ecoula assez vite, dans cette contemplation. Mais, vers le
milieu du jour, les heures parurent s'allonger. A mesure que le moment
attendu approchait, il semblait fuir. Je comptais les stations qui
restaient a franchir, et nous en rencontrions toujours que j'avais
oubliees. La nuit tombait, et Toulouse n'apparaissait pas. En vain,
pour prendre le change, j'essayais de dormir; mes yeux clos, l'esprit
veillait. Enfin, vers six heures, le train ralentit sa marche. Aux
portieres, les clairons sonnent allegrement la charge. Nous entrons en
gare. Le train roule toujours, il y a encore un pont a passer; mais
je n'y peux tenir. Me voila deja debout sur le marchepied, quand une
terreur me prend. C'est jour ferie, le 1er novembre, la Toussaint,
veille
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