pecher de trouver leur masse un peu grele.
L'herbe etait seche, la paille de couchage nous fut bientot distribuee.
Apres quelques hesitations, certaines lenteurs, nos six cents tentes
s'alignerent en colonne par compagnie, derriere les faisceaux aux lames
miroitantes irradiees comme des feuilles d'aloes. Les fourneaux se
creuserent a l'abri d'une haie vive, et bientot les hommes, en petite
veste, sans ceinturon, vinrent en nombre s'offrir l'avant-gout de soupes
qui delicieusement chantaient dans les marmites de fer-blanc tout neuf.
Quelques-uns, moins affames, allerent essayer de fraterniser avec les
turcos, qui deja repartissaient entre eux leurs gamelles. Les sombres
visages de nos voisins servaient de repoussoir a la-blanche figure de
leur jeune chef. Physionomie intelligente et douce, le blond capitaine
Carriere semblait n'avoir nul besoin d'energie pour mener ces
demi-sauvages. Il y suppleait par sa bonte naturelle, ne les quittant
jamais, mangeant gaiement au milieu d'eux la meme soupe et le meme pain.
Notre premiere nuit de bivouac fut bonne, sauf quelques indiscrets
courants d'air signalant de legeres imperfections architecturales dans
notre fragile demeure. Mais nul n'osait critiquer un edifice qui etait
en partie sorti de ses mains. Seul Pluvier hasarda quelques soupirs.
Point d'echo. Force fut bien d'imiter le stoicisme de ses compagnons,
et, se rechauffant mutuellement les uns les autres, tous bientot
s'endormirent.
Helas! le lendemain, une pluie diluvienne transforma notre moelleuse
prairie en un grand lac. Quoique Villiot eut pris le soin de creuser
une rigole tout autour de la tente pour en preserver l'interieur, la
situation fut terrible, quand, apres le couvre-feu, nous nous trouvames
blottis, immobiles, pour plusieurs heures, dans nos vetements trempes,
avec nos chaussures boueuses, sous nos toiles mouillees. A la premiere
plainte de Pluvier, ce fut un concert affreux de reproches adverses.
Chacun se souvenait de l'ouvrage des autres, pour leur en faire un
grief. Nareval accusait Gouzy d'avoir mal plante les piquets. Laurier
critiquait la tension des cordes, et Gouzy leur reprochait d'avoir
boutonne les toiles de travers. Une goutte d'eau, une perle fluide,
lui tombait sur le nez avec une telle regularite, qu'il craignait d'y
trouver une stalagmite le lendemain.
Ces orages passaient au-dessus de moi, qui n'avais garde de souffler
mot. Cela n'empecha pas Harel de me prendre a partie. Modestemen
|