arel,
pour lui, contenait sa fureur avec peine a l'idee que sa comptabilite,
confiee a mon inexperience, n'avancait guere.
Sans titre encore, j'etais en effet mele aux sous-officiers. Bien que
je n'eusse meme pas les insignes de caporal-fourrier, j'en remplissais
completement les fonctions. De la, s'il faut l'avouer, les troubles qui
agitaient notre petit groupe. La promotion de notre sergent-major au
grade d'adjudant avait immediatement allume les convoitises de Laurier
et de Gouzy, sans parler naturellement de Nareval.
A leurs yeux, il etait legitime que Harel passat sergent-major,
avant-derniere et peut-etre derniere etape vers le grade de
sous-lieutenant. Ils desiraient tous trois obtenir le grade de fourrier,
avec le ferme espoir de suivre apres lui le meme chemin. Il leur
deplaisait donc que la place me parut reservee, et, puisque je n'etais
pas sous-officier, ils estimaient que leurs desirs devaient primer mes
droits. Avec cette idee, ils etaient vexes de voir leurs doyens me
traiter deja en egal. Ils s'en expliquerent avec eux a l'occasion d'un
fin repas d'adieu organise la veille de notre depart d'Angers.
Villiot et Harel se contenterent de hausser les epaules. Mais, au
dernier moment, le beau Laurier declara tout net qu'il y allait de la
dignite de son grade a ne point s'attabler avec un simple caporal. Ses
deux emules appuyerent son avis, par leur silence. Harel et Pluvier, au
contraire, tout en se mettant a table, le traiterent de ridicule, ce qui
etait insuffisant pour le faire capituler. Villiot, president de droit,
ressentit davantage l'odieux d'une insolence que l'inegalite de grade
m'empechait de relever. Froidement, s'asseyant a son tour et m'invitant
a l'imiter, il repondit a Laurier qu'il avait un bon moyen de
sauvegarder sa dignite menacee. En meme temps, il lui indiquait la
porte.
Ce geste interloqua notre chatouilleux sergent. Il eut bien bonne envie
de nous punir tous, en nous privant de sa gracieuse personne. Mais le
potage fumait dans les assiettes et une grosse volaille etalait au
milieu de la table sa chair reluisante et doree. Laurier etait incapable
de bouder contre son ventre. Il prit sa place sans repliquer, et, a
coups de dents, il se vengea sur le diner.
IV
Le 9 novembre, tandis que la premiere armee de la Loire remportait sans
nous la victoire de Coulmiers, le regiment recut l'ordre de se diriger
sur Nevers, par les voies dites rapides. A la nuit, les trois bataillons
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