e me derober aux regards de la foule indiscrete.
Bientot le cri de la locomotive annonca le depart: le train s'ebranla.
Quand la gare eut disparu, j'apercus longtemps le clocher de la
basilique de Saint-Sernin dressant son cone de briques tout rose sur le
champ d'azur du ciel. Il reparaissait encore, puis enfin ne se montra
plus.
Pourtant je distinguais toujours le vert feuillage des grands platanes
de l'allee Sainte-Anne, a l'ombre desquels j'avais si souvent joue avec
mes condisciples dans nos promenades du jeudi; a son tour il se perdit
dans le lointain, et je me demandai s'il me serait donne de le revoir un
jour.
IV
La vie militaire exige une abnegation complete, un entier oubli de
soi-meme. Aussi faut-il, non pas entrer, mais se precipiter dans cette
existence. On n'est vraiment soldat qu'apres s'etre eloigne de sa
famille; je commencai a m'en rendre compte, en constatant mon isolement
parmi mes compagnons de route, que semblait unir une reelle fraternite.
Certaine liaison existait bien entre eux et moi; je leur avais fait les
honneurs de Toulouse, ou ils etaient etrangers; mais j'avais par la obei
a un sentiment de courtoisie, plutot qu'au double besoin de me distraire
et de me livrer, car, pour satisfaire inconsciemment mon coeur, j'avais
tous les jours une heure ou deux a passer au milieu des miens. La
Rochefoucauld l'a dit sans l'avoir invente: les affections naissent, se
developpent et se maintiennent sous l'influence de mutuels interets.
L'expansion de mes camarades etablissait entre eux une communion
inspiree par le desir d'oublier tout souci personnel, tout regret
intime, autant que par l'envie d'amuser les autres et de leur plaire.
Ce naif egoisme, etant general, ne choquait personne. Il etablissait
au contraire une egalite d'humeur parfaite et nivelait des esprits
d'origine et d'education bien diverses.
Gabriel Toubet, a la physionomie intelligente rendue etrange par
des yeux tigres, au corps si grand, si maigre, que la capote bleue
paraissait flotter dessus comme autour d'une perche, avait abandonne
l'etude du code pour le maniement du chassepot.
Ne d'une Espagnole qu'il n'avait jamais connue, Louis Nareval avait des
les premieres hostilites quitte a Lisbonne son pere qui l'avait emmene
a bord d'un vaisseau ou il etait mecanicien. Nareval avait herite de sa
mere un coeur ardent. Jaloux aussi, et vindicatif, il s'etait engage
sous l'impulsion du patriotisme et en meme temps avec l'apre de
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