plaine verdoyante bordee par une ligne d'un bleu
vif que piquaient de tout petits points blancs. C'etait la Mediterranee.
A partir de ce jour, je connus pleinement la vie de caserne, dont la
monotonie etait rompue par la variete des corvees. Il fallut d'abord
s'approvisionner pour la nuit au magasin des lits militaires, et chacun
s'en revint avec sa paillasse sur la tete a un premier voyage, avec un
matelas au second. Corvee de pain, corvee de bois. Et jusqu'a la grande
peinture a fresque avec le gros pinceau que tout le monde doit manier
sans etudes prealables!
Le plus penible, c'etait la lutte pour la vie. Comme il n'y avait pour
tout le regiment que deux ordinaires, le repas d'environ six cents
hommes se preparait dans une seule cuisine; il etait reparti au petit
bonheur dans les gamelles alignees sur plusieurs tables apres un lavage
tres sommaire. Il n'etait pas question de retrouver la sienne; mais,
pour en obtenir une quelconque, il se livrait chaque jour, sous l'oeil
indifferent ou goguenard des cuisiniers aux tabliers sordides, de
veritables pugilats. Ces combats a l'eau graisseuse me faisaient
reculer. Dejeunant d'une botte de radis, j'allais, pour quelques sous,
diner le soir avec un de mes camarades dans un modeste cabaret de la
ville. Apres la retraite, la chambree retrouvait, reunis, les dix
compagnons de route.
Il nous manquait les glorieux recits de la veillee, tous les veterans
ayant disparu a Sedan. Mais Bacannes se chargeait toujours d'egayer
les heures ou le sommeil nous fuyait. Ayant vite saisi les travers de
Nareval, il les exploitait, de complicite avec Linemer, au profit de la
gaiete generale. Chaque soir, ils l'amenaient a faire le complaisant
etalage de sa petite science. Ils se faisaient ignorants et naifs
jusqu'a la betise, et lui se perdait en des definitions minutieuses,
en des details oiseux, en des descriptions enfantines. Toujours de
sang-froid, les interlocuteurs accompagnaient leurs questions de
pantomimes folles, executees sur la table, en bonnet de coton et en
calecon, a la lueur vacillante d'une chandelle fumeuse, qui projetait
sur les murs et au plafond des ombres mouvantes, grotesques. Aveugle par
l'amour-propre, Nareval s'executait indefiniment, en toute conscience.
Il se persuadait que nous avions recours a lui parce qu'il etait
naturellement designe pour nous primer, nous diriger, pour devenir enfin
notre chef.
Cette farce eut pu se renouveler longtemps; mais, un soir, R
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