avais pas le
droit de les accompagner, n'ayant pas le pouvoir de les suivre jusqu'au
bout.
Maussade, silencieux, alternativement morne et nerveux, je ne
dissimulais pas que j'attendais l'heure d'agir suivant ma seule volonte.
Mon pere ne s'y trompait pas. Ebranle par les propos de mon ami, il
avait pu nourrir le vague espoir que j'en serais touche moi-meme a la
reflexion. Devant une resolution fermement arretee, il ne voulut pas
s'obstiner. Ne pouvant douter que je m'engagerais le jour meme de mon
vingtieme anniversaire, il consentit a me laisser partir avant. Il fixa
mon engagement a une date facile a retenir, me dit-il: _le 1er septembre
1870_.
III
Helas! la nouvelle de la capitulation de Sedan me fut apportee le
lendemain matin au quartier du 72e de ligne, par un officier de mobiles.
Le desastre surpassait tous les precedents. La honte nous semblait
monter demesurement, comme les eaux du deluge. Il s'y mela chez moi une
preoccupation enfantine: je me demandais avec inquietude si la guerre
n'allait pas etre fatalement terminee. Aussi, sans peser les chances
favorables et les chances contraires, j'applaudis aux resolutions du
gouvernement de la Defense nationale qui repondaient a mes aspirations
et aux sentiments genereux du pays.
Mon reve ne se realisa pas sitot que je l'avais espere. Je m'imaginais
que, trois ou quatre jours apres mon engagement, je serais habille,
equipe, arme et dirige vers l'armee. Il me fallut plus de patience. La
plupart de mes chefs, peut-etre inconsciemment, pratiquaient la calme
philosophie de Henri Roland. Pour eux, je n'etais qu'un numero matricule
qui prenait sa place entre deux autres et marcherait quand son rang
serait appele.
Or les jours et les jours passaient et rien ne faisait prevoir que cet
appel aurait lieu. Il regnait a la caserne un desordre inexprimable.
Dans la hate de former et d'organiser l'armee du Rhin, aucune mesure
n'avait ete prise pour encadrer les reserves au fur et a mesure de
leur arrivee. Il n'y avait au depot du 72e qu'une seule compagnie, qui
comptait 1400 ou 1500 hommes. Si actifs que fussent le sergent-major et
son fourrier, ils ne pouvaient, malgre un travail forcene et des veilles
prolongees, y voir clair dans leur comptabilite. Un dimanche, le chef
de bataillon commandant le depot voulut proceder lui-meme a une revue
serieuse.
Tout le troupeau, car le nom de troupe ne pouvait s'appliquer a cette
cohue, se trouva des six heures du matin dan
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