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j'etais agite, trouble, comme par un remords.
Quelque eloigne que fut le theatre des hostilites, Toulouse en recevait
constamment des echos et tout y parlait de la guerre. L'arsenal, la
poudrerie activaient leurs travaux, multipliaient leurs envois. Les
reserves rejoignaient les depots, et ceux-ci dirigeaient chaque jour
des detachements sur l'armee pour combler les vides ou concourir a la
formation des premiers regiments de marche. Les moblots foisonnaient,
luttant entre eux de cranerie et d'elegance, avec le pantalon bleu a
bande rouge et la vareuse foncee propice aux coupes de fantaisie.
Pour rappeler toutefois que l'heure etait grave, et que la coquetterie
militaire etait la parure juvenile de prochains sacrifices, le cure de
notre paroisse, septuagenaire au coeur chaud, organisa le premier un
service funebre en memoire des victimes des batailles perdues. Au milieu
de l'eglise froide et nue, dont la richesse est concentree dans une
des chapelles du transept ou se trouve une Vierge Noire, un catafalque
elevait haut ses draperies. Les trois couleurs apparaissaient aux
angles, obscurcies, comme dans le combat, par la fumee des cierges dont
les flammes tremblantes faisaient scintiller l'acier des faisceaux
d'armes. Entouree d'un semis de larmes symboliques, dans un cartouche a
demi cache sous une palme verte, cette seule inscription:
AUX BRAVES, MORTS POUR LA PATRIE.
La vaste nef et les bas-cotes etaient trop etroits pour contenir la
foule. Malgre ce concours empresse, un silence saisissant planait
au-dessus de ces mille fronts penches comme sous la pensee d'un deuil
personnel. Des larmes meme coulaient; mais, dans la sincerite de mon
ame, je ne plaignais pas, moi, ceux que l'on pleurait. Leur sort me
semblait enviable. Tombes, ils restaient glorieux, tandis que la honte
atteignait les survivants inactifs.
Aussi, au sortir de l'eglise, je me sentis etrangement remue, en
entendant l'alerte sonnerie des clairons des chasseurs. Le pantalon
dans les guetres, la tente sur le sac, marmites neuves, grands bidons
reluisants, en tenue de campagne, ils partaient, vifs, gais, comme a la
parade. Insoucieux des dangers prochains, ils allaient cranement, d'un
pas rapide. La certitude de la revanche ne leur eut pas donne plus
d'entrain, et je fus pris d'emulation. Un instant, je les suivis; mais
presque aussitot je m'arretai court, comme saisi de honte, car, a la
gare, il faudrait les quitter, leur dire adieu. Non, je n'
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