d'aller
s'etendre sur la brique nue.
Tout a une fin, meme le desordre. L'attention de nos chefs etait
concentree d'ailleurs sur la preparation d'un detachement de deux cents
hommes, au nombre desquels je sollicitai vainement d'etre compte. Leur
depart effectue, la compagnie de depot fut dedoublee; d'anciens soldats
rengages constituerent les cadres, et tout prit alors une allure
militaire. Les hommes une fois recenses, il fut assigne a chacun une
place dans les chambrees: qu'il y eut des lits ou non, il fallait s'y
trouver. Appels reguliers matin et soir, punitions severes au moindre
manquement, et, chaque jour, un nouveau groupe allait troquer des
vetements depareilles ou sordides contre l'uniforme en drap neuf, raide
et lustre.
L'enfantine joie d'etrenner ma premiere culotte est sortie de ma
memoire, mais je suppose qu'elle fut comparable a celle que j'eprouvai
en sortant a mon tour du magasin d'habillement. Enfant, j'avais du me
croire un homme en chaussant l'_inexpressible_; homme, je me croyais
presque un heros, parce que j'etais vetu comme d'autres qui s'etaient
sacrifies heroiquement.
Fier, je l'etais, mais non pas elegant. Mon pantalon rouge semblait etre
ne de l'union de deux sacs; ma veste, en drap gros bleu, eut pu servir
de corsage a une plantureuse nourrice--pardonnez a un troupier cette
comparaison--et la visiere de mon kepi etait si longue, que l'ombre
en etait projetee sur toute ma figure. Je ne la redressais pas, a dire
vrai, comme c'etait la mode alors. Au contraire, je m'efforcais de
la rabattre, selon le type d'aujourd'hui, car je tenais a n'etre pas
confondu avec les nombreux infirmiers que distinguait un beau numero
blanc.
Il me semblait, en traversant la ville pour me rendre de la caserne a la
maison paternelle, que mon nouvel accoutrement dut me valoir l'attention
generale, presque des egards universels. Loin de la, personne ne me
regardait. Des amis, que j'arretai, s'y prirent a deux fois pour me
reconnaitre sous mon banal deguisement. Apres quoi, ils s'esclafferent,
en me regardant de face, de profil et de dos.
Ce ne fut point le ridicule de ma nouvelle tenue qui frappa ma mere.
Elle aussi pensa qu'a present j'avais un premier point de ressemblance
avec ceux qui, a l'autre bout de la France, versaient leur sang. Sa
tristesse et la gravite de mon pere, quand il me considera longuement,
temoignerent qu'ils pressentaient et redoutaient tous deux une
separation prochaine. Elle l'etait e
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