e un corbeau qui attend le
dernier soupir d'un mourant sur le champ de bataille. Je ne sais meme
pas si elle n'a pas indispose contre la pauvre Fernande madame Borel,
leur compagne commune de couvent. Fernande trouve que tout le monde
lui bat froid, et ne peut s'empecher de regretter Saint-Leon. Elle y
retournera, je l'y deciderai, et la je vaincrai ses scrupules et les
miens: oui, les miens; car je t'avoue, Herbert, que je suis le plus
miserable seducteur qu'il y ait jamais eu. Je ne suis un heros ni dans
la vertu ni dans le vice: c'est peut-etre pour cela que je suis toujours
ennuye, agite et malheureux les trois quarts du temps. J'aime trop
Fernande pour renoncer a elle; je prefere commettre tous les crimes et
supporter tous les malheurs; mais cet amour est trop vrai pour que
je veuille la persecuter et l'effrayer par des transports qu'elle ne
partage pas encore. Elle les partagera, Dieu et la nature le veulent.
Quelle digue peut s'opposer a l'amour de deux etres qui s'entendent
et dont les brulantes aspirations s'appellent et se repondent a toute
heure? Je concois les joies extatiques de l'amour intellectuel chez des
amants jeunes et pleins de vie, qui retardent voluptueusement l'etreinte
de leurs bras pour s'embrasser longtemps avec l'ame. Chez les captifs
ou les impuissants, c'est une vaine parade d'abnegation qu'expient en
secret le spleen et la misanthropie. Je divague donc avec Fernande, et
je m'eleve dans les regions du platonisme tant qu'elle veut. Je suis
sur de redescendre sur la terre et de l'y entrainer avec moi quand je
voudrai.
Tu dois t'etonner de la vie que je mene: moi aussi; mais, au bout du
compte, cet abandon de moi-meme au hasard ou au destin, cette soumission
de mes actions a mes passions est la seule chose qui me convienne. Je
suis un vrai jeune homme, je le sais, au moins je l'avoue, et seul
peut-etre parmi tous ceux que je vois, je ne joue point de role. Je me
laisse aller au gre de ma nature, et je n'en rougis pas. Les uns se
drapent, les autres se fardent| il en est qui se platrent et veulent se
changer en statues majestueuses. Il en est d'autres qui attachent des
ailes de papillon a des organisations de tortue. En general, les vieux
se font jeunes, et les jeunes affectent la sagesse et la gravite de
l'age mur. Moi, je suis tout ce qui me passe par la tete et ne m'occupe
en aucune facon, des spectateurs. J'ecoutais dernierement deux hommes se
depeindre l'un a l'autre. L'un se disait bilieu
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