res yeux. Ma pauvre soeur! il y a
des instants ou je lui en veux de t'avoir fait tant de mal. Quand je
vois son visage serein et sa main dans celle d'Octave, je fuis, je me
cache au fond des bois, ou je vais pleurer aupres du berceau de ton
fils, pour exhaler mon indignation sans les faire souffrir. Mais quand
je la vois torturee de remords, je la plains et je souffre avec elle. Je
pense, comme toi, que son aventure est moins grave que la pruderie de
beaucoup de femmes ne voudra le faire croire. Je vois qu'elle ne lui
a point aliene l'amitie de madame Borel, qui me parait une personne
genereuse et sensee. Sa vie pourrait etre encore bien belle, si Octave
voulait; elle retournerait a toi, j'en suis sure, si elle avait a se
plaindre de lui, ou s'il lui inspirait le courage qu'au contraire il
cherche a lui oter. Pourrait-elle rougir d'accepter son pardon d'une ame
aussi noble que la tienne, et souffrirais-tu en le lui accordant? Oh!
combien tu l'aimes encore, et quel amour que le tien! Tu n'es occupe,
au sein de cet ocean de douleurs, qu'a lui eviter la centieme partie de
celles que tu ressens.
J'ai recu de madame de Theursan l'etrange envoi de quelques centaines de
francs; ce n'est pas, comme tu penses, la modicite du present qui me l'a
fait refuser; je sais qu'elle n'a pas de fortune et que ce present
est liberal eu egard a ses moyens; mais j'admire cette reparation de
l'abandon de toute ma vie. Cela ressemble a une derision; j'ai pourtant
remercie et n'ai motive mon refus que sur l'absence de besoins.
Peut-etre devrais-je etre reconnaissante de l'intention, je ne puis: je
ne lui pardonnerai jamais de m'avoir mise au monde.
LXXXIV.
DE JACQUES A SYLVIA.
Que veux-tu que je te dise? ce Lorrain etait un mechant homme, et je
l'ai tue. Il a tire sur moi le premier, je l'avais provoque; il m'a
manque. Je savais que je n'avais qu'a vouloir pour l'abattre, et
j'ai voulu. Est-ce un crime que j'ai commis? Certainement; mais que
m'importe? je ne suis pas capable de savoir ce que c'est que le remords
dans ce moment-ci. Il y a tant d'autres choses qui bouillonnent en moi,
et qui me transportent hors de moi-meme! Dieu me le pardonnera. Ce n'est
plus moi qui agis: Jacques est mort; l'etre qui lui succede est un
malheureux que Dieu n'a pas beni, et dont il ne s'occupe pas. J'aurais
pu etre bon, si mon destin s'etait prete a mes sentiments; mais tout a
echoue, tout m'abandonne; l'homme physique reprend le dessus, et cet
homme
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