apercevoir. Ils ont des raisons bien legitimes pour cela, des raisons
que je respecte, mais qui ont mis de la glace dans mon sang. Fernande
n'est plus ma femme, c'est celle d'Octave, c'est un etre qui ne fait
plus partie de moi, et que je ne pourrais plus presser dans mes bras
quand meme elle viendrait s'y jeter sincerement. Elle est vraiment ma
fille a present, et toute autre pensee ressemblerait pour moi a celle
d'un inceste. Ne me dis donc plus qu'elle peut revenir a moi, et que je
peux oublier tout; elle est la mere des enfants d'Octave. Je ne la hais
ni ne la meprise pour cela; mais cela rend necessaire notre eternelle
separation.
C'est la main de Dieu qui a mis cette lettre sous mes yeux. J'allais
peut-etre me perdre et m'avilir; j'allais accepter le role faux et
impossible que tu avais reve pour moi. Ebranle par ton eloquence
romanesque, touche des pleurs de Fernande et de ses humbles prieres,
j'allais lui promettre de passer le reste de mes jours entre elle et son
amant. J'etais a chaque instant pres de lui dire: "Je sais tout, et
je pardonne a tous deux; sois ma fille et qu'Octave soit mon fils;
laissez-moi vieillir entre vous deux, et que la presence d'un ami
malheureux, accueilli et console par vous, appelle sur vos amours la
benediction du ciel." Ce rayon d'esperance, cette illusion de quelques
heures, qui est venue briller sur mon dernier jour avant de m'abandonner
a l'eternelle nuit, n'est-ce pas un raffinement de souffrance? Entrevoir
un coin du ciel quand on est condamne a descendre vivant dans la tombe!
N'importe, je suis bien aise d'avoir fait toutes les reflexions et
tous les efforts possibles pour me rattacher a la vie; je mourrai sans
regret. Le destin m'a fait entrer dans la chambre ou etait ecrite cette
sentence. J'allais y chercher de l'encre et du papier pour ecrire a
Octave de revenir; en me penchant sur la table, je vis son ecriture,
et mes yeux rencontrerent cette phrase terrible qui s'attachait a ma
prunelle comme du feu: _Les enfants que nous aurons ensemble ne mourront
pas_. Je voulus savoir mon sort; je sentis que les considerations
ordinaires de la delicatesse devaient se taire devant l'oracle du
destin; et d'ailleurs, incapable comme je le suis de nuire a Fernande,
je pouvais, sans scrupule, violer ses secrets. Sans cela, je me trompais
de route, et j'entrais dans une nouvelle serie de maux qui m'auraient
egalement conduit ou je vais, mais moins courageux et moins pur que
je ne le su
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