gerie au pied des montagnes.
J'etais a mi-cote de la colline; j'avais sous les yeux une arene
magnifique: le camp francais a mes pieds, les feux de l'ennemi au loin,
et Napoleon, general, au milieu de tout cela. Je fis bien des reflexions
sur cette destinee qui s'offrait a moi, et sur cet homme de genie qui
commandait a tant de destinees. Je me trouvai froid au milieu de ces
travaux sanglants et de cette gloire funeste; seul peut-etre dans
l'armee je ne regrettai pas de ne pas etre Napoleon. J'acceptai les
horreurs de la guerre avec la force d'ame que donne la raison a celui
qui ne peut pas reculer; mais en galopant le lendemain sur ces cranes
que brisait le pied de mon cheval, sur ces cadavres qui gemissaient
encore, je me sentis penetre d'une haine si profonde pour les hommes qui
appelaient cela la gloire, et d'une aversion si insurmontable pour ces
scenes hideuses, qu'une paleur eternelle s'etendit sur mon visage, et
que mon exterieur prit cette glaciale reserve qu'il n'a jamais perdue
depuis. Des ce jour, mon caractere rentra en lui-meme: je fis une espece
de scission avec mes pareils, je me battis avec un desespoir et une
repugnance qu'ils appelaient du sang-froid, et sur lesquels je ne
m'expliquai jamais avec eux; car ces brutes n'eussent pas compris qu'il
put se trouver parmi eux un homme qui n'aimat pas la vue et l'odeur du
sang. Je les voyais se prosterner autour de l'ambitieux qui ouvrait tant
d'arteres et se nourrissait de tant de larmes; et quand je le voyais,
lui, marcher sur ces morts au milieu des nuees de vautours qu'il
engraissait de chair humaine, j'avais envie de l'assassiner, afin d'etre
maudit et massacre par ses adorateurs.
Non, le genie sans la bonte, sans l'amour, sans le devouement, ne m'a
jamais ni seduit ni tente. J'irai vivre aux pieds d'une femme, me
disais-je, et j'aimerai un de ces etres faibles et sensibles qui
s'evanouissent devant une goutte de sang. J'ai cherche la faiblesse et
je l'ai trouvee; mais la faiblesse tue la force, parce que la faiblesse
veut jouir et vivre, et parce que la force sait renoncer et mourir.
Ne maudis pas ces doux amants qui vont profiter de ma mort. Ils ne sont
pas coupables, ils s'aiment. Il n'y a pas de crime la ou il y a de
l'amour sincere. Ils ont de l'egoisme, et ils n'en valent peut-etre que
mieux. Ceux qui n'en ont pas sont inutiles a eux-memes et aux autres.
Pour quiconque veut n'etre pas deplace dans la societe, il faut avoir
l'amour de la vie et la
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