anxietes
horribles! Pardonne-moi donc cette excessive prudence que tu n'as jamais
comprise ni apercue, parce que ton ame, plus calme que la mienne, ne te
la commandait pas. Grace a elle, je meurs pur, et mon coeur n'a pas ete
souille d'une seule pensee que Dieu ait du hair et chatier.
Maintenant songe, o mon amie! que tu ne peux me suivre dans la tombe.
Quelque degoutee de la vie que tu sois, quelque isolee que tu doives te
trouver par ma mort, tu ne peux la partager sans souiller ta memoire et
la mienne de l'accusation qu'on a portee contre nous durant notre vie.
Le monde ne manquerait pas de dire que tu etais ma maitresse, et que
c'est un desespoir d'amour qui nous a fait chercher le suicide dans
les bras l'un de l'autre. Tu sais comme Octave est soupconneux, comme
Fernande est faible; eux-memes le croiraient. Ah! laissons-leur au moins
mon souvenir sans tache, et qu'ils me respectent quand je ne serai plus,
quand ce respect ne leur coutera plus rien.
Mais ne m'accuse pas de t'avoir meconnue, o ma Sylvia, ma soeur devant
Dieu! Je te l'ai dit cent fois, il n'y a que toi au monde qui ne m'aies
jamais fait que du bien. Toi seule me comprenais, toi seule pensais
comme moi. Il semblait qu'une meme ame nous animat, et que la plus noble
partie te fut echue en partage. Comme tu m'as prefere a tes amants,
je t'aurais preferee a mes maitresses, si je n'avais craint, en
m'abandonnant a cette affection si vive, d'aller plus loin que je ne
voulais. Toi, tu t'y livrais tranquillement, belle ame eternellement
calme et solide! C'est que tu etais le diamant et moi la pierre qui le
protege; mes desirs et mes transports ont toujours place entre nous,
comme une sauvegarde, une amante qui recevait mes caresses, mais qui
n'empechait pas ma veneration de remonter toujours vers toi. Vois comme
je me fie a ta parole et quelle estime est la mienne: j'ose te reveler
toutes les faiblesses, toutes les souffrances de mon coeur! Depuis que
je te connais, je t'ai eue pour confidente et pour consolatrice, et
avant toi je ne m'etais jamais livre a personne. Sois mon dernier espoir
dans le monde que je quitte; du fond du cercueil, mon ame viendra encore
s'informer avec sollicitude du bonheur de ceux que j'y laisse. Veille
sur ta soeur, je te la confie: si tu veux que je meure en paix,
laisse-moi emporter l'assurance que tu ne l'abandonneras jamais, toi qui
es pleine de raison, et dont l'amitie vaut mieux que l'amour des autres.
XCVII.
DE J
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