ouee comme la femme forte des beaux temps
bibliques; tu feras de tes reves irrealises et de tes vains desirs un
saint holocauste, et tu repartiras sur tes fils l'amour que tu n'as
pu donner a un homme. Ne m'ote pas cette esperance, et laisse-moi
l'emporter dans la tombe. Elle m'est venue l'autre jour, comme nous
dinions au rendez-vous de chasse. Je m'etais leve un instant; je revins,
et je contemplai ces deux couples assis sur l'herbe, Octave et
Fernande, Herbert et toi; Herbert suivait tes moindres mouvements avec
sollicitude; il epiait tous tes regards pour trouver l'occasion de te
rendre un petit service e de t'entendre lui dire: Merci, Herbert. Les
deux autres amants etaient radieux de bonheur, et je leur rends justice
avec joie, ils me comblerent tout le jour d'amities e de caresses
delicates. Un calme divin est descendu un instant dans mon coeur en
voyant que vous etiez tous heureux ou du moins que vous pouviez l'etre.
Oh! quelle etrange et solennelle journee! c'etaient la des adieux
eternels entre vous et moi! Qui l'eut dit? Il y avait des instants ou je
l'oubliais moi-meme, et ou je me reportais a notre ancien bonheur, au
point de croire que tout ce qui s'est passe depuis etait un reve. Le
temps etait si beau, l'herbe si verte, les oiseaux chantaient si
bien, Fernande etait si jolie avec ces pales roses qui renaissent
d'elles-memes sur son visage apres quelques jours de souffrance! Je
dormis un quart d'heure sur le gazon avant le diner, et, quand je
m'eveillai, elle etait pres de moi et chassait les insectes de mon
front avec son bouquet de fleurs sauvages; Octave chantait un duo
avec Herbert; tu preparais les fruits pour le dessert, et mes chiens
dormaient a mes pieds. C'etait un tableau de bonheur rustique si frais
et si paisible que je le contemplai quelque temps sans me rappeler la
necessite de mourir. Mais quand cette idee revint au milieu de tout
cela!...
Je suis tres-calme, mais je souffre encore beaucoup; je te l'ai deja dit
cent fois, tu t'obstines a faire de moi un heros et tu m'invites a vivre
comme si j'en avais la force. Souviens-toi donc que j'aimais encore il
y a peu de jours, et que je serais furieux si je n'etais aneanti.
D'ailleurs tu n'as pas lu ces deux lettres d'Octave et de Fernande! Je
les ai lues, et c'est mon arret de mort. J'ai vu combien, malgre leur
estime et leur amitie pour moi, ma vie leur est a charge. Amants
ingenus! ils desirent naivement que je meure, et se le disent sans s'en
|