n que la frayeur que je venais d'eprouver etait l'ouvrage d'une
imagination malade. Ne suis-je pas tombee dans un etat bien ridicule?
Reviens! un baiser de toi me fera plus de bien que tout le reste; et
quand je verrai ta main dans celle de Jacques, je serai tout a fait
tranquille.
XCIV.
DE JACQUES A SYLVIA.
Geneve.
Ma chere bien-aimee, j'ai fait le voyage jusqu'ici avec Herbert. Tu t'es
imagine que je le quitterais a Lyon; pas du tout. Sa societe ne m'a fait
nullement souffrir; nous avons constamment parle de toi. Tu dois t'etre
apercue qu'il est amoureux de toi. Je l'ai examine et questionne de
maniere a le bien connaitre. C'est un digne garcon, simple, loyal,
obligeant, sincere. Il a une jolie fortune, une habitation agreable dans
le pays que tu aimes, et ses occupations le preservent de l'esprit de
tracasserie qui est particulier aux hommes ranges. Il m'a prie de te
presenter sa demande en mariage, et je te conseille de l'accepter; non
pas a present, je comprends que tu n'es pas disposee a t'occuper de
cela, mais plus tard. Tu ne seras jamais heureuse par l'amour, Sylvia.
Tu pourras chercher longtemps un etre digne de toi, et, si tu le
trouves, tu auras le meme sort que moi, il sera trop tard; tu seras trop
vieille de coeur pour te faire aimer longtemps. Il y a un desaccord trop
complet d'ailleurs entre notre maniere de sentir et celle de tous les
autres hommes, pour que nous puissions jamais trouver notre semblable
en ce monde. Il n'y a pourtant qu'une chose dans la vie, c'est l'amour.
Mais l'amour, dans le coeur des femmes surtout, peut etre de deux
sortes, l'amour d'un homme et l'amour maternel. J'aurais vecu pour mes
enfants, tout infortune que je suis. Ils sont morts! C'est un accident
qui me tue. Mais tu pourras elever les tiens, et, a l'abri de tous
les maux qui m'accablent, etre heureuse par eux. A la maniere dont tu
cherissais et dont tu soignais les miens, il etait facile de voir que tu
serais une mere sublime. Deviens-le donc, epouse Herbert. Il suffira que
tu aies pour lui de l'estime et de l'amitie. Il en est digne. C'est une
de ces belles natures calmes qui ne connaissent ni le transport des
passions, ni leurs funestes souffrances. Il ne te demandera pas plus
d'affection que tu ne seras disposee a lui en accorder, et, quand tu le
connaitras, tu ne lui en accorderas pas moins qu'il n'en merite. Vous
aurez une vie tranquille et patriarcale. Tu es une veritable Ruth,
active, courageuse et dev
|