qu'il faut gouverner avec force et courage, loin
de l'accepter tel qu'il est. Ne crains pas que Jacques te les reproche;
s'il savait comme notre amour est irresistible et notre bonheur immense,
il nous permettrait d'en jouir. Reponds-moi vite; dis-moi si Jacques
doit rester longtemps. J'ai toute la vie, j'espere, a passer avec toi,
et pourtant je ne pourrais me soumettre sans douleur a perdre une
semaine. Tu sais que si Jacques, d'accord avec toi, l'exigeait, je
pourrais me soumettre a un long exil; mais a present il lui semblerait
peut-etre que je le fuis; s'il me demandait, dis-lui que je suis a Lyon;
surtout donne-moi de tes nouvelles, et soigne ce que j'ai de plus cher
au monde.
XCIII.
DE FERNANDE A OCTAVE.
Jacques part bientot; mais il veut te voir auparavant. Tu as raison,
Octave, c'est un homme excellent: il est impossible d'avoir plus de
generosite, de douceur, de delicatesse et de raison. Je vois bien qu'il
sait tout. J'etais au moment de lui tout avouer, tant je souffrais de
ce que je prenais pour un exces de confiance et d'estime; mais, des
les premiers mots, il m'a fait entendre qu'il ne voulait pas en savoir
davantage, et il m'a temoigne une amitie si vraie, une indulgence si
grande, que je suis penetree d'attendrissement et de reconnaissance.
Tu avais bien juge ses intentions, et notre position a tous, mon cher
Octave. Il a fait de serieuses reflexions sur la difference de nos ages,
et il a certainement vaincu le reste d'amour qu'il avait pour moi;
car il m'a parle absolument dans le sens de ta lettre. Il m'a dit que
_certains propos_ l'obligeaient a se tenir eloigne de nous, afin que
le monde ne crut pas qu'il donnait les mains a notre amour. "Et que
penses-tu de cet amour? lui ai-je dit; crois-tu que ce soit une
calomnie?" J'etais tremblante et prete a embrasser ses genoux. Il a fait
semblant de ne pas s'en apercevoir, et il m'a repondu: "Je suis bien sur
que c'est une calomnie." Mais j'ai vu qu'il savait a quoi s'en tenir, et
sa tranquillite a degage mon coeur d'un poids enorme. Jacques est bon et
affectueux; mais il raisonne. Il n'est plus jeune: il sait que je suis
excusable, et, comme tu le dis, sa generosite naturelle est secondee par
la sagesse de ses reflexions. Il m'a fait esperer qu'il reviendrait tous
les ans passer quelques semaines pres de nous, et que, dans quelques
annees, il ne nous quitterait plus.
Ta lettre m'aurait decidee a garder le secret sur ma grossesse, quand
meme
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