Jacques ne m'aurait pas aidee a me taire sur tout le reste. Je
me fie et je m'abandonne a toi. Tu savais bien que jamais je n'aurait
l'impudence de profiter de la loi qui forcerait Jacques a donner son
nom et ses biens a l'enfant de nos amours, encore moins aurais-je eu
la bassesse d'aller revendiquer ses caresses pour le tromper sur la
legitimite de cet enfant; tu m'aurais tuee plutot que de le permettre,
n'est-ce pas? Et tu le recueilleras, tu le cacheras, tu le soigneras,
cet enfant bien-aime! Nous le confierons a quelque honnete paysanne,
bien propre et bien fidele, qui le nourrira, et nous irons le voir tous
les jours. Ah! quel que soit mon sort, et dans quelque circonstance
qu'il vienne au monde, sois sur que je le cherirai autant que ceux qui
ne sont plus, et davantage peut-etre, a cause de ce que j'ai souffert
en les perdant! Si quelques jours Jacques decouvre la naissance de
celui-la, il ne le haira pas, il ne le persecutera pas. Qui sait
jusqu'ou ira sa bonte? Il est capable de tout ce qui est etrange et
sublime... Mais combien je suis heureuse que sa generosite aujourd'hui
ne lui coute pas autant que je le croyais! Je n'aurais jamais pu me
tranquilliser et t'aimer sans tourments et sans remords, si j'avais vu
qu'il fallait briser le noble coeur de Jacques. Heureusement il n'est
plus dans l'age des passions brulantes; et d'ailleurs il me l'avait
toujours dit, et il savait bien ce qu'il disait alors: "Quand tu ne me
permettras plus d'etre ton amant, je deviendrai ton pere." Il a tenu
parole. O mon cher Octave! nous ne passerons jamais une nuit ensemble
sans nous agenouiller et sans prier pour Jacques.
Et toi! que tu es bon, et comme tu sais aimer! Oh! je n'ai jamais aime
que toi! J'ai cru avoir de l'amour pour Jacques: mais ce n'etait qu'une
sainte amitie, car cela ne ressemblait en rien a ce que j'eprouve pour
toi. Quels transports que les tiens, et comme tu es sans cesse occupe de
moi! Quelle sollicitude! quel devouement! tu n'es pas mon mari, et tu me
consacres ta vie; mes larmes et mes faiblesses ne te rebutent pas, tu
ne me reproches aucun de mes defauts. Jacques non plus! Il est bien bon
aussi; mais il n'est pas mon egal, mon camarade, mon frere et mon amant
comme toi. Il n'est pas enfant comme nous, et puis il y a dans sa
vie autre chose que l'amour. La solitude, les voyages, l'etude, la
reflexion, il aime tout cela; et nous, nous n'aimons que nous. Aimons-le
aussi, cet ami si parfait; viens le voir. Il
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