de
et pur, et tu sortis de la main de Dieu fier et sans tache, comme une
statue neuve sort de l'atelier et se dresse sur son piedestal dans une
attitude orgueilleuse; mais te voila comme une de ces allegories usees
et rongees par le temps, qui se tiennent encore debout dans les jardins
abandonnes. Tu decores tres-bien le desert: pourquoi sembles-tu
t'ennuyer de la solitude? Tu trouves le temps long et l'hiver bien rude;
il te tarde de tomber en poussiere, et de ne plus lever vers le ciel ce
front jadis superbe que le vent insulte aujourd'hui, et ou l'air humide
amasse une mousse noire comme un voile de deuil. Tant d'orages ont terni
ton eclat que ceux qui passent ne savent plus si tu es d'albatre ou
d'argile sous ton crepe funebre. Reste, reste dans ton neant, et ne
compte plus les jours: tu dureras peut-etre longtemps encore, pierre
miserable! Tu te glorifiais d'etre une matiere inattaquable: a present
tu envies le sort du roseau desseche qui se brise les jours d'orage.
Mais la gelee fend les marbres; le froid te detruira: espere en lui!
LXXXVIII.
D'OCTAVE A HERBERT.
Malgre la colere des uns, les remords des autres, et l'incertitude de
mon esprit au milieu de tout cela, je ne peux pas m'empecher d'etre
heureux, mon cher Herbert, car mon coeur est rempli d'amour et mon sort
est fixe. Une affection indissoluble m'attache a Fernande, n'en doutez
pas: je ne suis pas inconstant. On peut me rebuter; la femme que j'aime,
quand elle s'obstine a me repousser, peut finir par me degouter d'elle;
mais ce n'est pas une autre femme qui peut m'en distraire avant qu'elle
l'ait elle-meme ordonne. Malgre la difference effrayante de nos
caracteres, j'ai longtemps aime Sylvia, et j'ai lutte contre ses dedains
longtemps apres qu'elle ne m'aimait plus. Fernande est une tout autre
femme. C'est celle-la qui est nee pour moi, et dont les defauts memes
semblent combines pour resserrer nos liens et rendre notre intimite
necessaire. Je ne sais pas si je suis aussi criminel que Sylvia veut me
le faire croire, mais il m'est impossible de ne pas me sentir amoureux
et transporte de joie. L'amour est egoiste, il s'assied aveugle et
joyeux sur les ruines du monde, et se pame de plaisir sur des ossements
comme sur des fleurs. J'ai fait le sacrifice du chagrin d'autrui comme
j'ai fait celui de ma propre vie. Je ne connais plus les lois du tien et
du mien. Fernande s'est confiee a moi, j'ai jure de l'aimer, de vivre
et de mourir pour elle; je ne
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