sais que cela, et tout le reste m'est
etranger. Jacques peut venir a toute heure du jour ou de la nuit me
demander mon sang et le boire a son aise sans que je le lui dispute.
Pour l'acquit de ma conscience, je livre ma poitrine nue; qu'est-ce
qu'un homme peut faire de plus? Et de quoi Jacques peut-il se plaindre?
Je ne porte pas de cuirasse et ne dors pas sous les verrous. Sylvia,
croyant me faire tomber a genoux devant son idole, me lit quelques
fragments de ses lettres. Il commence a faire de la poesie sur sa
douleur; il est a moitie gueri. Il s'est battu bravement, et il a bien
fait. J'en aurais fait autant a sa place, et, si j'en avais eu le droit,
je l'aurais prevenu. Il a bien recommande de cacher ces evenements a
sa femme; il peut etre tranquille, je m'en charge. Je n'ai pas envie
qu'elle retombe malade, et je veille sur elle comme sur un bien qui
m'appartient desormais. J'ai trouve hier a la poste une lettre de
Clemence pour elle. Comme je connais fort bien l'ecriture, j'ai
ouvert sans facon la missive, et j'y ai trouve tous les charitables
avertissements auxquels je m'attendais; de plus, la nouvelle
additionnelle, le mensonge gratuit d'une bonne blessure que, selon la
renommee et selon elle, Jacques aurait recue dans la poitrine. J'ai
dechire la lettre, et j'ai pris des mesures pour que toutes les depeches
adressees a Fernande passent par mes mains en arrivant. Celles de
Jacques seront respectees religieusement; mais gare aux autres! Il m'en
coute assez pour la voir heureuse et endormie sur mon coeur. Je ne
me soucie pas qu'une prude envieuse ou une mere infame viennent la
reveiller pour le plaisir de tous faire du mal a tous deux. Elle est
encore delicate; l'absence de Jacques, qui lui ecrit rarement, et
la mauvaise sante de son fils, sont pour elle des sujets suffisants
d'inquietude et de chagrin. Ma sollicitude entretient encore le calme et
l'espoir dans son coeur. Rien ne me coutera, rien ne me repugnera pour
la preserver le plus longtemps possible des coups qui la menacent. Je
suis egoiste, je le sais; mais je le suis sans honte et sans peur.
L'egoisme qui se dissimule et rougit de lui-meme est une petitesse et
une lachete; celui qui travaille hardiment au grand jour est un soldat
courageux qui lutte contre ses ennemis et s'enrichit des depouilles du
vaincu. Celui-la peut conquerir son bonheur ou defendre celui d'autrui.
Qui donc a jamais songe a accuser de vol et de cruaute celui qui
triomphe et qui fait
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