ge; je le recevrai dans mon sein, je le
nourrirai moi-meme avec du lait de biche et des fruits, comme les
solitaires des vieilles chroniques que nous lisions l'autre jour
ensemble. Il reposera a mes cotes, il s'endormira au son de ma flute; il
sera eleve par moi, il aura les talents que tu aimes et les vertus que
tu auras besoin de trouver en lui pour etre heureuse; et quand il sera
en age de garder son secret et le notre, il ira t'embrasser; il te dira:
"Je m'appelle Octave, et je n'ai pas besoin d'un autre nom: celui de
votre mari me serait moins cher, et ne me servirait a rien. Je vous
respecte et vous estime; vous n'avez pas assure mon existence sociale
par un mensonge, vous ne m'avez pas donne pour maitre un homme auquel je
ne suis rien; c'est mon pere qui m'a eleve et qui m'a appris a me
passer de richesse et de protection. Je n'ai besoin que de tendresse,
donnez-moi la votre; je ne vous appellerai jamais ma mere; mais un
baiser de vous en secret sur mon front me fera connaitre toutes les
joies de l'amour filial." Dis-moi, quand il te parlera ainsi, le
repousseras-tu? seras-tu fachee d'avoir cet ami de plus? Toute la peine
qu'il te causera consiste a cacher son existence a ton mari. Pour le
present et pour l'avenir, cela me semble une chose si aisee, que je
ne concois pas comment tu t'en inquietes. Souffriras-tu de ne pouvoir
avouer et produire ton enfant? Mais songe que Jacques a le double de ton
age, ma chere Fernande; tu ne peux pas te dissimuler que tu ne doives
lui survivre de beaucoup, et qu'un temps viendra, dans l'ordre de la
nature, ou tu seras libre. Avant meme cette epoque presumable, que
d'accidents, que de hasards peuvent nous permettre d'etre epoux!
Crois-tu que dans dix ans, comme aujourd'hui, comme dans vingt, je ne
serai pas toujours a tes pieds, et que mon plus grand bonheur ne sera
pas de dire a la societe: Cette femme est a moi; je l'ai conquise par
mes prieres, par mon obstination, par mes fautes, par mon amour; et si
j'ai entache sa reputation, du moins je ne l'ai pas abandonnee comme
font les autres. Je suis reste pres d'elle; j'ai laisse ma vie couler
tout entiere au gre de ce mari, qui certes savait se battre, et qui
pouvait a tout instant venir m'egorger dans les bras de sa femme. Je
suis reste la pour satisfaire au ressentiment de l'un, ou pour proteger
l'autre en cas de besoin; j'ai consacre tous mes instants a celle qui
s'etait un jour sacrifiee a moi. J'ai commence par l'obtenir a force
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