ison de sabrer par ici
plutot que de sabrer par la-bas, c'est plaisir et honneur de voir un
ancien camarade faire de pareilles preuves avec la nouvelle armee.
Au reste, le camarade n'est pas de bonne humeur; et pour ceux qui le
connaissent un peu, il est facile de voir qu'il a soif du sang de bien
d'autres. Je ne sais pas ce qu'il compte faire; je lui ai dit, en
recevant ses remerciements pour lui avoir servi de temoin: "Je voudrais
t'en servir dans une quatrieme occasion, et je ferais volontiers le
voyage avec toi pour ca. A present tu as la main remise, est-ce que tu
ne vas pas t'en prendre a qui de droit?" Il m'a repondu moitie figue,
moitie raisin: "Si on te le demande, tu diras que tu n'en sais rien.--Ah
ca, est-ce que tu en veux aussi aux anciens?" lui ai-je dit. La-dessus,
il m'a embrasse, en me chargeant de te faire ses adieux et ses amities.
Il doit etre parti maintenant, car le prefet lui a fait dire en dessous
main qu'il allait etre force de le faire arreter, s'il ne tirait ses
guetres bien vite. Je l'ai laisse fermant sa malle, et je suis revenu
a mon _perchoir_, ou je vous attends a dejeuner aussitot que la goutte
vous le permettra. En attendant, j'irai fumer une pipe et jaser de tout
cela avec vous. Il y a beaucoup a dire pour et contre Jacques; c'est un
drole de corps, mais il fait feu des quatre pieds.
LXXXVII.
DE JACQUES A SYLVIA.
Aoste.
Tu dois avoir recu un billet que je t'ai envoye de Clermont, par lequel
je t'annoncais que j'etais sorti sans egratignure de mes trois duels, et
que mon corps se portait aussi bien que mon ame se porte mal: ce sont
les plus mauvaises nouvelles qu'un homme puisse donner de lui-meme. Un
corps qui s'obstine a vivre, et qui nourrit avec vigueur les peines de
l'ame, est un triste present du ciel. Ce que je ne t'ai pas dit, c'est
que j'allais passer a deux pas de toi sans te voir; j'ai refait cette
route de Lyon pour la vingtieme fois, et pour la premiere j'ai passe
aupres de ma vallee cherie sans y entrer. Il etait six heures du matin
quand je me suis trouve sur le haut de la cote Saint-Jean, et les
postillons, qui me connaissent bien, avaient deja tourne le chemin pour
descendre, quand je leur ai dit de continuer vers le Midi. Penche a
la portiere, j'ai longtemps contemple ce beau site que je ne reverrai
peut-etre plus, et tous ces sentiers que nous avons tant de fois
parcourus ensemble; mais j'ai longtemps hesite a regarder ma maison.
Enfin, au moment ou le bo
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