en conditionnee, qu'il me serait
impossible de faire une lieue en voiture. Jacques vient de m'envoyer
chercher; allez tout de suite, par la traverse, lui offrir mes excuses
et vos services; ces choses-la ne se refusent pas. Je vais tacher de
vous mettre en trois mots au courant de l'affaire. A peine repose
d'avoir tue hier Lorrain, a qui Dieu fasse paix, Jacques s'en va au cafe
comme si de rien n'etait; et, avec cette maniere glaciale que vous
lui connaissez quand il est en colere, il fume sa pipe et prend sa
demi-tasse en presence de plus de cent paires de moustaches jeunes et
vieilles qui l'examinaient non sans un peu de curiosite, comme vous
pensez. Les jeunes officiers qui ont fait la farce que vous savez a
l'amant de sa femme, se sont crus insultes ou au moins provoques par sa
presence et par sa figure; ils ont affecte de parler a haute voix des
maris trompes en general, et de repeter, a une table voisine de la
sienne, le mot qui pouvait flatter le moins les oreilles de Jacques.
Comme il restait impassible, ils ont parle un peu plus clairement de sa
femme, et ils ont fini par la designer si bien, que Jacques s'est leve
en disant: "Vous en avez menti," du ton dont il aurait dit: "Je suis
votre serviteur." Deux de ces messieurs, qui avaient parle en dernier,
se leverent en demandant a qui s'adressait le dementi. "A tous deux,
repondit Jacques; que celui qui voudra m'en demander raison le premier
se nomme.--Moi, Philippe de Munck, demain a l'heure que vous voudrez,
dit l'un d'eux.--Non pas, reprit Jacques, ce soir, s'il vous plait;
car vous etes deux, et il faut que j'aie le temps de rendre raison
a monsieur demain, avant que la police me contrarie.--C'est juste,
repondit M. de Munck; ce soir, a six heures et au sabre.--Au sabre,
soit," dit Jacques. Vous voyez que c'est une affaire qui ne peut
s'arranger en aucune facon. Deux heures apres, j'ai recu un message de
lui pour me prier de lui servir encore de temoin; mais precisement j'ai
pris la goutte dans la rosee d'hier a l'affaire de Lorrain, et peut-etre
ai-je eprouve aussi un peu d'emotion en voyant tomber ce pauvre diable.
Ce n'est pas une grande perte; mais il y avait longtemps que cela
grisonnait aupres de nous, et nous ne sommes plus a l'age ou un camarade
tombait comme une noix d'un noyer. Ce Jacques est etonnant, et cela
prouve bien qu'un homme ne change qu'en dehors: l'arbre ne fait que
renouveler son ecorce, et Jacques est aujourd'hui le meme que nous avons
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