a un instinct de tigre comme tous les autres. Je sentais la soif
du sang me bruler; ce meurtre m'a un peu soulage. En expirant, le
malheureux m'a dit: "Jacques, il etait ecrit que je mourrais de ta main;
sans cela tu ne m'aurais pas estropie pour une caricature, et tu ne
me tuerais pas aujourd'hui pour te venger d'etre..." Il est mort en
m'adressant cette grossierete qui semblait le consoler. Je suis reste
longtemps immobile a contempler l'expression d'ironie qui restait sur
la face de ce cadavre: ses yeux fixes semblaient me braver, son sourire
semblait nier ma vengeance; j'aurais voulu le tuer une seconde fois. Il
faudra que j'en tue un autre, n'importe lequel; cela me soulage, et cela
fait du bien a Fernande: rien ne rehabilite une femme comme la vengeance
des affronts qu'elle a recus. On dit ici que je suis fou; peu m'importe!
on ne dira plus que je suis lache, et que je souffre l'infidelite de ma
femme parce que je ne sais pas me battre; on dira que j'ai pour elle une
passion qui me fait perdre l'esprit. Eh bien! on pensera du moins que
c'est une femme digne d'amour que celle qui exerce un tel empire sur
l'epoux qu'elle n'aime plus; les autres femmes envieront cette espece de
trone ou, dans mon delire, je l'aurai placee, et Octave enviera mon role
un instant; car il n'y a que moi qui aie le droit de me battre pour
elle, et il est oblige de me laisser reparer le mal qu'il a commis.
Adieu. Ne t'inquiete pas de moi, je vivrai; je sens que c'est mon
destin, et que dans ce moment mon corps est invulnerable. Il y a une
main invisible qui me couvre, et qui se reserve de me frapper. Non, ma
vie n'est au pouvoir d'aucun homme: j'en ai l'intime revelation; j'en ai
fait le sacrifice, et il m'est absolument indifferent de la perdre ou de
la conserver. L'ange qui protege Fernande est venu pres de moi, et il me
parle d'elle dans mon sommeil; il etend ses ailes sur moi quand je me
bats pour elle; quand je ne serai plus necessaire a personne, lui aussi
m'abandonnera. J'ai fait mon testament a Paris; en cas de mort de mon
fils, je laisse les deux tiers de mon bien a ma femme, et a toi le
reste; mais ne crains rien, mon heure n'est pas venue.
LXXXV.
DE M. BOREL AU CAPITAINE JEAN.
Cerisy.
Mon camarade, il faut que vous alliez me remplacer a Tours,
sur-le-champ, aupres de Jacques, qui se bat encore ce soir. Je ne puis
ni lui servir de temoin, ni meme aller vous investir de mes fonctions;
j'ai une attaque de goutte si bi
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