servi de son amour, comme
d'une fleche empoisonnee, pour me percer le coeur. A present, la colere
de Dieu va s'apaiser, j'espere. Il n'y a plus sur moi de place vivante a
frapper. Vous allez tous vous reposer et vous guerir de m'avoir aime.
Sa sante m'inquiete, et j'attends avec impatience que tu me dises si mon
depart et l'emotion qu'elle a eprouvee en me disant adieu ne l'ont pas
rendue plus malade. J'aurais peut-etre du rester encore quelques jours
et attendre qu'elle fut plus forte; mais je n'y pouvais plus tenir. Je
suis un homme et non pas un heros; je sentais dans mon sein toutes les
tortures de la jalousie, et je craignais de me laisser aller a quelque
mouvement odieux d'egoisme et de vengeance. Fernande n'est pas coupable
de mes souffrances; elle les ignore; elle me croit etranger aux
passions humaines. Octave lui-meme s'imagine peut-etre que je supporte
tranquillement mon malheur, et que j'obeis sans efforts a un devoir que
je me suis impose... Qu'il en soit ainsi, et qu'ils soient heureux!
Leur compassion me rendrait furieux, et je ne puis renoncer encore a la
cruelle satisfaction de laisser le doute et l'attente de ma vengeance
suspendus comme une epee sur la tete de cet homme. Ah! je n'en puis
plus! Tu vois si mon ame est stoique. Non, elle ne l'est pas. C'est toi,
Sylvia, qui es heroique et qui me juge d'apres toi-meme. Mais moi, je
suis un homme comme les autres; mes passions me transportent comme le
vent et me rongent comme le feu. Je ne me suis point cree un ordre de
vertus au-dessus de la nature; seulement, je ressens l'affection avec
une telle plenitude, que je suis force de lui sacrifier tout ce qui
m'appartient, jusqu'a mon coeur, quand je n'ai plus rien a lui offrir.
Je n'ai jamais etudie qu'une chose au monde, c'est l'amour. A force de
faire l'experience de tout ce qui le contriste et l'empoisonne, j'ai
compris combien c'etait un sentiment noble et difficile a conserver;
combien il faillait accomplir de devouements et de sacrifices avant de
pouvoir se glorifier de l'avoir connu. Si je n'avais pas eu d'amour pour
Fernande, je me serais peut etre mal conduit. Je ne sais si j'aurais
commande a mon depit et a la haine que m'inspire l'homme qui l'a exposee
a la risee d'autrui, par ses imprudences et ses folies egoistes.
Mais elle l'aime, et parce que je suis lie a elle par une eternelle
affection, la vie de son amant me devient sacree. Pour resister a la
tentation de me defaire de lui, je pars, et Die
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