u seul saura ce que me
coute de desespoirs et de tourments chacun des jours que je lui laisse.
Si j'ai quelque autre vertu que mon amour, c'est peut-etre une justice
naturelle, une rectitude de jugement, sur lesquelles aucun prejuge
social, aucune consideration personnelle, n'ont jamais eu de prise. Il
me serait impossible de conquerir un bonheur quelconque par la violence
ou la perfidie, sans etre aussitot degoute de ma conquete. Il me
semblerait avoir vole un tresor, et je le jetterais par terre pour
m'aller pendre comme Judas. Cela me parait le resultat d'une logique si
inflexible et si absolue, que je ne saurais me glorifier de n'etre pas
une brute semblable aux trois quarts des hommes que je vois. Borel, a ma
place, aurait tranquillement battu sa femme, et il n'eut peut-etre pas
rougi ensuite de la recevoir dans son lit, tout avilie de ses coups et
de ses baisers. Il y a des hommes qui egorgent sans facon leur femme
infidele, a la maniere des Orientaux, parce qu'ils la considerent comme
une propriete legale. D'autres se battent avec leur rival, le tuent
ou l'eloignent, et vont solliciter les baisers de la femme qu'ils
pretendent aimer, et qui se retire d'eux avec horreur ou se resigne
avec desespoir. Ce sont la, en cas d'amour conjugal, les plus communes
manieres d'agir, et je dis que l'amour des pourceaux est moins vil
et moins grossier que celui de ces hommes-la. Que la haine succede a
l'affection, que la perfidie de la femme fasse eclore le ressentiment
de sop mari, que certaines bassesses de celle qui le trompe lui donnent
jusqu'a un certain point le droit de se venger, et je concois la
violence et la fureur; mais que doit faire celui qui aime?
Je ne peux pas me persuader (ce que beaucoup sans doute penseront de
moi) que je sois un esprit faible et un caractere imbecile, pour avoir
persevere dans mon amour. Mon coeur n'est pas vil, et mon jugement n'est
pas altere. Si Fernande etait indigne de cet amour, je ne l'eprouverais
plus. Une heure us mepris suffirait pour m'en guerir. Je me rappelle
bien ce que j'ai senti pendant trois jours que je la crus infame. Mais
aujourd'hui elle cede a une passion qu'un an de combats et de resistance
a enracinee dans son coeur; je suis force de l'admirer, car je pourrais
l'aimer encore, y eut-elle cede au bout d'un mois. Nulle creature
humaine ne peut commander a l'amour, et nul n'est coupable pour le
ressentir et pour le perdre. Ce qui avilit la femme, c'est le mensonge.
Ce
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