mence a se porter tout a fait bien; mais son fils maigrit et
palit a vue d'oeil. Elle ne s'en apercoit pas encore; mais je crains
qu'elle n'ait bientot un nouveau sujet de larmes, et que ni l'un ni
l'autre de ses enfants ne soient nes avec une bonne organisation. Tous
les malheurs qui pourront la frapper m'attacheront a elle; je ne suis
pas un grand homme, mais je l'aime, et je n'ai pas joue de role quand
j'ai jure de lui consacrer ma vie. Sylvia est d'une tristesse dont je ne
la croyais pas capable; elle la dissimule devant Fernande, et se conduit
comme un ange avec elle; mais son visage trahit une souffrance secrete
et une preoccupation tout a fait etrangere a son caractere methodique et
grave. Il me vient a l'esprit, depuis quelque temps, une idee singuliere
sur Sylvia: je te la dirai si elle prend de la consistance.
_P. S._ Fernande vient de recevoir une lettre de madame Borel qui lui
annonce que la lettre de son mari a Jacques n'est jamais partie, par la
raison qu'elle-meme s'est chargee de la dechirer au lieu de la mettre a
la poste. Jacques aura encore arrange cela. On ne peut se dissimuler
que cet homme ne soit ingenieux et magnifique dans la maniere dont il
remplit sa tache.
[Illustration: Je criai: Qui vive?...]
LXXXI.
DE JACQUES A SYLVIA.
Paris.
Tu me pleures, pauvre Sylvia! Oublie-moi comme on oublie les morts. C'en
est fait de moi. Etends entre nous un drap mortuaire, et tache de vivre
avec les vivants. J'ai rempli ma tache, j'ai bien assez vecu, j'ai bien
assez souffert. A present, je puis me laisser tomber et me rouler dans
la poussiere trempee de mes larmes. En te quittant, j'ai pleure, et mes
yeux ne se sont pas seches depuis trois jours. Je vois bien que je suis
un homme fini, car jamais je n'ai vu mon coeur se briser et s'aneantir
ainsi. Je le sens qui fond dans ma poitrine. Dieu me retire la force,
parce qu'elle m'est desormais inutile. Je n'ai plus a souffrir, je n'ai
plus a aimer; mon role est acheve parmi les hommes.
Laisse-la me croire aveugle, sourd et indolent. Maintiens-la dans cette
confiance, et qu'elle ne se doute jamais que je meurs de sa main. Elle
pleurerait, et je ne veux pas qu'elle souffre davantage pour moi. C'est
bien assez comme cela. Elle a trop appris ce que c'est d'entrer dans ma
destinee, et quelle malediction foudroie tout ce qui s'attache a moi.
Elle a ete comme un instrument de mort dans la main d'Azrael; mais ce
n'est pas sa faute si l'exterminateur s'est
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