sse; mais un mot de la femme
que j'aime me fait tomber a genoux. Heureusement les prieres d'un amant
sont plus imperieuses que les menaces de toute la terre, et meme que
les terreurs de la conscience. Je verrai Fernande ce soir. Elle vient
quelquefois au bal des officiers de la garnison avec madame Eugenie
Borel; je la fais danser sans avoir l'air de la connaitre, si ce n'est
comme une figure de bal, et je trouve le moyen de lui dire quelques
mots. Madame Borel a ici une grande vieille maison deserte, une espece
de pied-a-terre dont on n'ouvre les volets et les portes qu'une fois par
semaine. Il doit etre facile d'y penetrer et d'y donner rendez-vous a
Fernande. Elle ne veut plus que j'aille roder dans le parc de Cerisy.
J'aime pourtant bien l'amour espagnol; mais la poltronne n'est plus du
meme avis.
LXXIII.
DE M. BOREL A JACQUES.
MON VIEUX CAMARADE,
Ta fille se meurt, c'est fort bien; mais ta femme se perd, c'est autre
chose. Tu ne peux empecher l'un, et tu dois t'opposer a l'autre. Laisse
donc tes enfants a quelque personne sure, et reviens chercher madame
Fernande. Je me chargerais bien de te la reconduire si tu m'avais donne
le droit de lui commander. Mais je n'ai eu de toi a ton depart que cette
parole: "Mon ami, je te confie ma femme." Je ne sais pas bien ce que tu
entendais par la, toi qui es un philosophe, et dont les idees different
beaucoup des notres; moi, je suis un vieux militaire et ne connais que
le code du regiment Or, dans mon temps, voila comme cela se passait, et,
dans mon interieur, voici comment cela se passe encore. Quand un ami,
un frere d'armes me recommande sa femme ou sa maitresse, sa soeur ou
sa fille, je me crois investi des droits, ou, pour parler plus juste,
charge des devoirs suivants: 1 deg. souffleter ou batonner tout impertinent
qui s'adresse a elle avec l'intention evidente de porter atteinte a
l'honneur de mon ami, sauf a rendre raison de ma maniere de proceder au
soufflete ou au bayonne, si telle est son humeur. Ce premier point sera
fidelement execute, tu peux y compter, si le larron de ton honneur me
tombe sous la main; mais jusqu'ici il est aussi insaisissable que la
flamme et le vent. 2 deg. Je me crois oblige, quand la femme de mon ami est
recalcitrante ou sourde aux bons conseils que je tache de lui donner
d'abord, d'avertir mon ami, afin qu'il mette ordre lui-meme a sa
conduite, car je n'ai point le droit de la corriger comme je ferais de
la mienne en pareille ci
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