des lacunes ou des incoherences, car un esprit
qui peche par la methode et par l'observation psychologique ne s'eleve
pas toujours, malgre ses efforts, a l'eclectisme et s'arrete au
syncretisme. Cependant il y a plus que de la sagacite, il y a de
l'etendue d'esprit dans ce travail de conciliation de toutes les
doctrines sur les universaux, et de plus, on y peut entrevoir et degager
une idee originale qui en distingue et caracterise l'auteur entre tous
les chefs d'ecole qu'il a soumis a sa pressante inquisition.
Nous craignons l'ennui des redites, et cependant nous ne pouvons nous
refuser un dernier mot sur une question qui a fait presque toute la
renommee philosophique d'Abelard, et peut-etre tout le malheur de sa
theologie. Il nous est a coeur de faire bien saisir sa pensee et la
notre, et de fixer le caractere definitif de sa doctrine.
Suivant les meilleures autorites, ce caractere est, a tout prendre,
celui du nominalisme. Faut-il souscrire a ce jugement? Non, Abelard ne
fut pas nominaliste, s'il faut, pour l'etre, croire avec Roscelin qu'il
n'y a dans le genre et l'espece que des noms, et que rien n'est reel
dans l'individu que l'individualite; s'il faut croire que les qualites,
pour n'etre pas materiellement, objectivement separables des substances
individuelles, ne sont que des mots; s'il faut croire que les parties,
quand elles ne sont pas des individus, sont aussi verbales, aussi vaines
que les especes et les qualites; s'il faut croire enfin que hors du
langage aucune abstraction n'est rien.
Mais il fut nominaliste, si, pour meriter ce titre, il suffit de
n'etre pas realiste, s'il suffit d'ignorer ou de rejeter la doctrine
platonicienne des idees, s'il suffit de ne pas admettre des essences
generales subsistant essentiellement soit hors des individus, soit
integralement et distinctement dans les individus, et de regarder
qu'entre Dieu, l'ame et les individus, il n'y a de numeriquement reel
que des conceptions, qui sont des faits et non des etres; s'il suffit
enfin d'imputer aux facultes et aux besoins de l'esprit humain
l'existence de genres, de qualites, d'abstractions de toute sorte,
posees separement et independamment des sujets effectifs qui ont donne
naissance a ces creations intellectuelles.
La plupart des philosophes nos contemporains auraient, je crois, de
la peine a se defendre de penser comme lui sur ce dernier point, et
seraient fort embarrasses d'attribuer une existence distincte a aucune
des
|