perses, deplaces; ils ecrivent. Il n'y a plus
de Muses, il n'y a plus de juges, tout le monde est dans l'arene.
Aujourd'hui toi, demain moi. Je te siffle ou je t'applaudis, je te loue
ou je te raille: a charge de revanche! Vous etes orfevre, monsieur
Josse.--Tant mieux, dira-t-on, on est juge par ses pairs.--En
litterature, je ne suis pas tout a fait de cet avis constitutionnel, je
ne crois pas absolument au jury des seuls confreres, ou soi-disant tels,
en matiere de gout. L'alliance offensive et defensive de tous les gens
de lettres, la societe en commandite de tous les talents, ideal que
certaines gens poursuivent, ne me paraitrait pas meme un immense
progres, ni precisement le triomphe de la saine critique.
Serieusement, la plaie litteraire de ce temps, la ruine de l'ancien bon
gout (en attendant le nouveau), c'est que tout le monde ecrit et a
la pretention d'ecrire autant et mieux que personne. Au lieu d'avoir
affaire a des esprits libres, degages, attentifs, qui s'interessent, qui
inspirent, qui contiennent, que rencontre-t-on? des esprits tout
envahis d'eux-memes, de leurs pretentions rivales, de leurs interets
d'amour-propre, et, pour le dire d'un mot, des esprits trop souvent
perdus de tous ces vices les plus hideux de tous que la litterature
seule engendre dans ses regions basses. J'y ai souvent pense, et j'aime
a me poser cette question quand je lis quelque litterateur plus ou moins
en renom aujourd'hui: "Qu'eut-il fait sous Louis XIV? qu'eut-il fait au
XVIIIe siecle?" J'ose avouer que, pour un grand nombre, le resultat de
mon plus serieux examen, c'est que ces hommes-la, en d'autres temps,
n'auraient pas ecrit du tout. Tel qui nous inonde de publications
specieuses a la longue, de peintures assez en vogue, et qui ne sont
pas detestables, ma foi! aurait ete commis a la gabelle sous quelque
intendant de Normandie, ou aurait servi de poignet laborieux a
Pussort. Tel qui se pose en critique fringant et de grand ton, en juge
irrefragable de la fine fleur de poesie, se serait eleve pour toute
litterature (car celui-la eut ete litterateur, je le crois bien) a
raconter dans _le Mercure galant_ ce qui se serait dit en voyage au
dessert des princes. Un honnete homme, ne pour l'_Almanach du
Commerce_, qui aura griffonne jusque-la a grand'peine quelques pages de
statistique, s'emparera d'emblee du premier poeme epique qui aura
paru, et, s'il est en verve, declarera gravement que l'auteur vient de
renouveler la face et d
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