devaient
finir ensemble.
Mais, pour ne pas trop preter notre idee generale, et, comme on dit
aujourd'hui, notre formule, a celui qui a ete surtout plein de liberte
et de vie, prenons l'homme d'un peu plus pres et suivons-le dans ses
caprices memes; car nul ne fut moins regulier, plus hardi d'elan et plus
excentrique de rayons, que cet excellent homme de gout.
La vie de M. Joubert compte moins par les faits que par les idees.
Joseph Joubert etait ne le 6 mai 1754, a Montignac en Perigord. Ses amis
le croyaient souvent et le disaient ne a Brive, cette patrie du cardinal
Dubois: Montignac ou Brive, il aurait du naitre plutot a Scillonte
ou dans quelque bourg voisin de Sunium. Il fit ses etudes, et
tres-rapidement, dans sa ville natale. Apres avoir, de la, redouble et
professe meme quelque temps aux Doctrinaires de Toulouse, il vint jeune
et libre a Paris, y connut presque d'abord Fontanes des les annees 1779,
1780; une piece de vers qu'il avait lue, un article de journal qu'il
avait ecrit, amenerent entre eux la premiere rencontre qui fut aussitot
l'intimite: il avait alors vingt-cinq ans, a peu pres trois ans de plus
que son ami. Sa jeunesse dut etre celle d'alors: "Mon ame habite un lieu
par ou les passions ont passe, et je les ai toutes connues," nous dit-il
plus tard; et encore: "Le temps que je perdais autrefois dans les
plaisirs, je le perds aujourd'hui dans les souffrances." Les idees
philosophiques l'entrainerent tres-loin: a l'age du retour, il disait:
"Mes decouvertes (et chacun a les siennes) m'ont ramene aux prejuges."
Ce qu'on appelle aujourd'hui le _pantheisme_ etait tres-familier, on a
lieu de le croire, a cette jeunesse de M. Joubert; il l'embrassait dans
toute sa profondeur, et, je dirai, dans sa plus seduisante beaute:
sans avoir besoin de le poursuivre sur les nuages de l'Allemagne, son
imagination antique le concevait naturellement revetu de tout ce premier
brillant que lui donna la Grece: "Je n'aime la philosophie et surtout la
metaphysique, ni quadrupede, ni bipede: je la veux ailee et chantante."
En litterature, les enthousiasmes, les passions, les jugements de M.
Joubert le marquaient entre les esprits de son siecle et en vont faire
un critique a part. Nous en avons une premiere preuve tout a fait
precise par une correspondance de Fontanes avec lui. Fontanes, alors en
Angleterre (fin de 1785), et y voyant le grand monde, cherche a ramener
son ami a des admirations plus moderees sur les modeles
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