e concoit, a la facon dont le negociateur nous
la raconte, et au jeu subtil des mobiles qu'il nous fait toucher. La
bizarrerie capricieuse du prince Potemkin ne fut pas le moindre ressort
au debut de cette petite comedie. Il etait grand questionneur, se
piquant fort d'erudition, surtout en matiere ecclesiastique. Ce faible
une fois decouvert, M. de Segur n'avait qu'a le mettre sur son sujet
favori, qui etait l'origine et les causes du schisme grec, et,
l'entendant patiemment discourir durant des heures entieres sur les
conciles oecumeniques, il faisait chaque jour de nouveaux progres dans
sa confiance. Les autres personnages de la cour ne sont pas moins
agreablement dessines. "En s'etendant un peu longuement sur ce sejour
en Russie, ecrivions-nous il y a plus de quinze ans deja, lors de
l'apparition des _Memoires_, l'auteur ou mieux le spirituel causeur a
cede sans doute a plus d'un attrait: la ou lui-meme a rencontre tant de
plaisirs et de faveurs qu'il se plait a redire, d'autres qui lui sont
chers ont recueilli dans les dangers d'assez glorieux sujets a celebrer.
Il y a dans ce rapprochement de famille de quoi faire naitre plus
d'une idee et sur la difference des epoques et sur celle des manieres
litteraires. En se rappelant les eloquents, les genereux recits du fils,
on aime a y associer par comparaison les merites qui recommandent ceux
du pere, la mesure insensible du ton, ce style d'un choix si epure,
d'une aristocratie si legitime, et toute cette physionomie, si rare
de nos jours, qui caracterise dans les lettres la posterite, prete a
s'eteindre, des Chesterfield, des Nivernais, des Bouflers[173]."
[Note 173: _Globe_, 16 mai 1826.]
_Prete a s'eteindre!_ ainsi pouvions-nous ecrire il y a quelques annees
encore. Le temps depuis a fait un pas, et cette posterite derniere est a
jamais eteinte aujourd'hui.
Une partie interessante des _Memoires_ de M. de Segur est consacree aux
details du voyage en Crimee ou l'ambassadeur de France eut l'honneur
d'accompagner Catherine. Ce voyage romanesque et meme mensonger, tout
rempli d'illusions et de prestiges, eut des resultats positifs et des
effets historiques. Potemkin n'avait songe, en le combinant, qu'a ses
interets de favori; il voulait, a l'aide de cette marche triomphale,
enlever sa souveraine a ses rivaux, la fasciner et l'enorgueillir par le
spectacle d'une puissance imaginaire, l'_enguirlander_, c'est bien le
mot, je crois. Mais ce motif unique et tout particulier
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