des deux familles se
reunit complaisamment sur la tete du jeune aine, qui devait porter
si haut leur esperance[183]. Des l'age de cinq ans, l'enfant eut un
instituteur particulier, qui, deux fois par jour, apres son travail,
le conduisait dans le cabinet de son grand-pere de Motz. La nourriture
d'etude etait forte, antique, et tenait des habitudes du XVIe siecle,
mieux conservees en Savoie que partout ailleurs. L'esprit du grand
jurisconsulte Favre n'avait pas cesse de hanter ces vieilles maisons
parlementaires. Tout concourait ainsi, des le debut, a faire de M.
de Maistre ce qu'il apparait si imperieusement dans ses ecrits, le
magistrat-gentilhomme, l'heritier et le representant du droit patricien
et fecial, comme dit Ballanche.
[Note 182: J'emprunte beaucoup, pour les details positifs, a l'_Eloge_
insere au tome XXVII des _Memoires de l'Academie des Sciences de Turin_,
et qui fut prononce en janvier 1822 par M. Raymond, physicien et
ingenieur distingue de Savoie: c'est la plus exacte notice qu'on ait
ecrite sur la vie qui nous occupe.]
[Note 183: Outre le comte Xavier, M. de Maistre eut trois freres, un
eveque et deux militaires, gens distingues a tous egards, mais que rien
d'ailleurs ne rattache plus particulierement a lui.]
Tout enfant, il eut une impression tres-vive et qui ne s'effaca jamais:
c'etait l'epoque ou l'on supprimait en France l'ordre des jesuites
(1764); cet evenement faisait grand bruit, et l'enfant, qui en avait
entendu parler tout autour de lui, sautait pendant sa recreation en
criant: _On a chasse les jesuites!_ Sa mere l'entendit et l'arreta: "Ne
parlez jamais ainsi, lui dit-elle; vous comprendrez un jour que c'est un
des plus grands malheurs pour la religion." Cette parole et le ton dont
elle fut prononcee lui resterent toujours presents; il etait de ces
jeunes ames ou tout se grave.
Les conseils des jesuites de Chambery, amis de sa famille et
tres-consultes par elle, entrerent aussi pour beaucoup dans son
instruction; la reconnaissance se mela naturellement chez lui a ce que
par la suite, en ecrivant d'eux, la doctrine lui suggera[184].
[Note 184: Voir dans le _Principe generateur_ les beaux paragraphes
XXXV et XXXVI.]
Quoique eleve sous une tutelle particuliere et domestique, il parait
avoir suivi en meme temps les cours du college de Chambery; un jour,
en effet, me raconte-t-on[185], un ecolier l'ayant defie sur sa memoire,
qu'il avait extraordinaire, il releva le gant et tint le
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