egue qui avait traite avec lui. Il ne s'inquietait pas de cacher
son ame, mais de l'avoir nette: "Je n'ai que mon mouchoir dans ma poche,
disait-il; si on vient a me le toucher, peu m'importe! Ah! si j'avais un
pistolet, ce serait autre chose, je pourrais craindre l'accident." Mais
c'est a l'ecrivain qu'il nous faut revenir et nous attacher.
L'ecrivain pourtant ne serait pas assez explique dans toutes les
circonstances, si nous ne nous occupions encore de l'homme. La plupart
des ecrits de M. de Maistre, en effet, ont ete composes dans la
solitude, sans public, comme par un penseur ardent, anime, qui cause
avec lui-meme. Dans son long sejour en Russie, ce noble esprit, si vif,
si continuellement aiguise par le travail et l'etude, n'a presque jamais
ete averti, n'a presque jamais rencontre personne en conversation qui
lui dit _Hola_! Qu'y a-t-il d'etonnant qu'il se soit mainte fois echappe
a trop dire, a trop pousser ses _ultra-verites?_ On m'a lu, il y a
quelques annees, une belle lettre de lui, qu'il ecrivit a une dame de
Vienne en reponse a des representations et a des conseils qu'elle lui
avait adresses sur certains defauts de son caractere; la maniere dont
il s'executait et s'excusait m'a paru a la fois aimable et ferme, d'une
verite tout a fait charmante. Je regrette de n'avoir pas ete mis a meme
de publier cette page qui m'avait ete si precieuse a entendre; mais
voici ce que j'ai pu recueillir aupres de quelques personnes bien
competentes qui, a cette seconde epoque de sa vie, l'ont beaucoup connu,
et dont je voudrais combiner les depositions, sans trop en alterer le
mouvement et la vie. Je resume un peu a batons rompus: patience! la
physionomie, a la fin, ressortira.
Il n'ecrit que tard, on le sait, par occasion, pour rediger ses idees;
savant jurisconsulte, tenant par ce cote encore a Rome, la ville du
droit, il ne se considere que comme un amateur plume en main, et n'en
va que plus ferme, comme ces novices qui, dans le duel, vous enferrent
d'emblee avec l'epee. Du XVIe siecle par ses fortes etudes, il est du
XVIIIe par les saillies et par le trait qu'il ne neglige pas, qu'il
recherche meme. Vu de ce profil, c'est, si vous le voulez, un tres-bel
esprit, nerveux, brillant et mondain, qui a lu beaucoup d'in-folios et
qui les cite: le gout peut trouver a y redire; les allusions aux choses
lues et les citations sont trop frequentes.
En conversation, il se montrait encore superieur a ses ecrits; ce qui
s'y laisse
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