peu defendu. Les chefs de l'ecole eclectique regnante n'ont pas ete
faches de voir tomber sur la joue du precurseur de Locke ce soufflet
solennel qu'ils ne se seraient pas charges eux-memes de lui donner [212].
Je n'ai pas assez lu ni etudie Bacon pour avoir droit d'exprimer sur
son compte une idee complete; mais toutes les fois que dans ma jeunesse
curieuse, provoque, harcele par les eloges en quelque sorte fanatiques
que je voyais decerner invariablement a Bacon en tete de chaque preface,
dans tout livre de physique, de physiologie et de philosophie, j'essayai
de l'aborder, je fus assez surpris d'y trouver un tout autre homme que
celui de la methode experimentale stricte et simple qu'on preconisait
[213]; j'y trouvai un heureux, abondant et un peu confus ecrivain, plein
d'idees et de vues dont quelques-unes hasardees et meme superstitieuses,
mais surtout riche de projets ingenieux, d'apercus attrayants (_hints_,
_impetus_), d'observations morales revetues d'une belle forme, dorees
d'une belle veine, et capables de faire axiome avec eclat. Une telle
gloire, ou l'imagination a sa part dans la science pour la feconder, en
vaut bien une autre, ce me semble.
[Note 212: L'attaque de De Maistre a plutot mis en train contre Bacon.
M. F. Huet, dans une these ingenieuse (1838), s'est attache a evincer
tout a fait Bacon, comme autorite, du domaine de la philosophie
intellectuelle; il lui a refuse toute initiative essentielle en cette
partie. Un tel resultat semble bien tranchant, bien absolu. M. Riaux,
qui a mis une judicieuse introduction aux Oeuvres de Bacon (Charpentier,
1843), s'est tenu dans un milieu plus specieux, plus vraisemblable. Il
faut regretter que l'utile et savant travail de M. Bouillet (_Oeuvres_
de Bacon, 1834) ait paru avant l'attaque de De Maistre. J'indiquerai
encore un sage article de M. Diodati (_Bibliotheque universelle de
Geneve_, janvier 1837). Dans le journal _l'Europeen_ (fevrier 1837),
M. Buchez a fait aussi de bonnes remarques, entre autres celle-ci, que
jusqu'a present on citait Bacon a tort et a travers, et qu'un resultat
de l'ouvrage de M. de Maistre sera du moins qu'on n'osera plus invoquer
l'oracle conteste qu'en pleine connaissance de cause.]
[Note 213: Quelques-uns des purs de l'extreme XVIIIeme siecle, qui y
avaient regarde de tres-pres (comme Daunou), estimaient moins Bacon,
mais c'etait un secret qu'on se gardait.]
M. de Maistre n'etait pas homme a y rester insensible, et il se serait
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