il divise et
subdivise le tout avec un sang-froid inimaginable. Les conseils de
moderation qu'il y mele ne font que mieux ressortir l'immoral du fond;
on croirait par moments qu'il se joue: c'est comme un chirurgien curieux
qui assemble des exemples de tous les jolis cas, ou comme un chimiste
amateur qui etiquette avec complaisance tous ses poisons, en inscrivant
sur chacun la dose indispensable et suffisante. Ce qui se dirait a peine
dans quelque hardi colloque a voix basse et dans quelque debauche de
cabinet entre un Borgia et son conclaviste, il le redige et l'ecrit[238].
Son apologie de la Saint-Barthelemy (au chap. III) est trop connue et
resume le reste. Si, dans la facon dont il la presente, il se trouve
historiquement quelques points de verite incontestables, ils ne
rachetent en rien l'horreur de l'action ni l'odieux du recit. Ce n'est
point quand le sang coule a flots que l'historien doit faire parade
d'essuyer et de braquer si posement sa lunette. Lui aussi, il lui
convient d'etre entraine par le sentiment d'humanite et de se faire
peuple un jour. Guy Patin ne trouvait, pour excuser son ami sur ce
mefait, que l'influence du lieu ou il ecrivait alors. Lorsqu'on entre au
Vatican, qu'apercoit-on en effet des la grande salle d'antichambre? La
Saint-Barthelemy peinte et Coligny immole.
[Note 238: On lit, il est vrai, dans la preface de la premiere
edition, que le livre n'est imprime qu'a _douze_ exemplaires. Passe
encore, cela ne sortait pas de la confidence. Mais bientot il en courut
plus de cent. Telle est l'inconsequence toujours: on n'ecrit pas pour le
public, et on imprime pour lui.]
Et en cette opinion extreme, n'admirez-vous pas comme Naude et de
Maistre se rencontrent? le grand croyant et le grand sceptique! c'est le
cercle ordinaire, le manege de l'esprit humain.
Disons-le bien vite, en ceci Naude, encore plus que de Maistre, se
calomniait: cet apologiste de la Saint-Barthelemy est le meme qui,
a Rome, se montra si bon, si humain, si chaleureux pour Campanella
persecute. Apres vingt-sept ans de prison, ce dominicain philosophe
venait d'etre rendu a la liberte par la bonte d'Urbain VIII. Naude avait
toujours admire et venere Campanella _(ardentis penitus et portentosi
vir ingenii,_ comme il l'appelle sans cesse), Campanella novateur
et investigateur en toutes choses, en philosophie, en ordre social,
conspirateur et chef de parti un moment[239], et qui du fond d'un cachot
obscur retracait et revait sa
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