nager. A lire les dernieres pages des
_Soirees de Rothaval_, je crois voir un homme qui a entendu durant plus
de deux heures une discussion vive, animee, etincelante de saillies et
meme d'invectives, soutenue par le plus intrepide des contradicteurs, et
qui, prenant son voisin sous le bras, l'emmene dans l'embrasure d'une
croisee, pour lui dire a voix basse: "Vous allez peut-etre me juger bien
hardi, mais je trouve que cet homme va un peu loin."--L'epigraphe qui
devrait se lire en toutes lettres au frontispice des ecrits de M. de
Maistre est assurement celle-ci: _A bon entendeur salut_! L'honorable
ecrivain dont nous parlons ne s'en est pas assez penetre; il y aurait,
matiere a le narguer la-dessus. Pourtant quand je parcours ses
judicieuses reserves sur Bacon, sur Locke en particulier, si foule aux
pieds par de Maistre, une remarque en sens contraire me vient plutot a
l'esprit, et si j'ai eu tort de l'omettre dans les articles consacres a
l'illustre ecrivain, elle trouvera place ici en correctif essentiel et
en _post-scriptum_. De nos jours, les esprits aristocratiques n'ont pas
manque, qui ont cherche a exclure de leur sphere d'intelligence ceux qui
n'etaient pas censes capables d'y atteindre: de Maistre, par nature et
de race, etait ainsi; les _doctrinaires_, les esprits distingues qu'on
a qualifies de ce nom, ont pris egalement sur ce ton les choses, et par
nature aussi, ou par systeme et mot d'ordre d'ecole, ils n'ont pas
moins voulu marquer la limite distincte entre eux et le commun des
entendements. _Il entend, il comprend_, etait le mot de passe, faute de
quoi on etait exclu a jamais de la sphere superieure des belles et fines
pensees. Eh bien! non: nul esprit, si eleve qu'il se sente, n'a ce droit
de se montrer insolent avec les autres esprits, si bourgeois que ceux-ci
puissent paraitre, pourvu qu'ils soient bien conformes. Ces humbles
allures, un peu pesantes, conduisent pourtant par d'autres chemins; les
objections que le simple bon sens et la reflexion soulevent, dans ces
questions premieres, demeurent encore les difficultes definitives et
insolubles. Les esprits de feu, les esprits subtils et rapides, vont
plus vite; ils franchissent les intervalles, ils ne s'arretent qu'au
reve et a la chimere, si toutefois ils daignent s'y arreter; mais, apres
tout, il est un moment d'epuisement ou il faut revenir; on retombe
toujours, on tourne dans un certain cercle, autour d'un petit nombre
de solutions qui se tiennent e
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