subdivise en mille singularites comme son objet meme. On la dirait innee
en quelques individus et produite par la nature, tant elle se prononce
chez eux de bonne heure; et, bien qu'elle se mele dans la jeunesse au
desir de savoir et d'apprendre, elle ne s'y confond pas necessairement.
En general, toutefois, le gout des livres est acquis en avancant. Jeune,
d'ordinaire, on en sent moins le prix; on les ouvre, on les lit, on les
rejette aisement. On les veut nouveaux et flatteurs a l'oeil comme a la
fantaisie; on y cherche un peu la meme beaute que dans la nature. Aimer
les vieux livres, comme gouter le vieux vin, est un signe de maturite
deja. M. Joubert, dans une lettre a Fontanes, a dit: "Il me reste a
vous dire sur les livres et sur les styles une chose que j'ai toujours
oubliee. Achetez et lisez les livres faits par les vieillards, qui ont
su y mettre l'originalite de leur caractere et de leur age. J'en connais
quatre ou cinq ou cela est fort remarquable: d'abord le vieil Homere;
mais je ne parle pas de lui. Je ne dis rien non plus du vieil Eschyle;
vous les connaissez amplement, en leur qualite de poetes: mais
procurez-vous un peu _Varron, Marculphi Formuloe_ (ce Marculphe etait
un vieux moine, comme il le dit dans sa preface, dont vous pouvez vous
contenter); _Cornaro, de la Vie sobre_. J'en connais, je crois, encore
un ou deux; mais je n'ai pas le temps de m'en souvenir. Feuilletez
ceux que je vous nomme, et vous me direz si vous ne decouvrez pas
visiblement, dans leurs mots et dans leurs pensees, des esprits verts
quoique rides, des voix sonores et cassees, l'autorite des cheveux
blancs, enfin des tetes de vieillards. Les amateurs de tableaux en
mettent toujours dans leur cabinet; il faut qu'un connaisseur en livres
en mette dans sa bibliotheque." Nulle part ce que j'appellerai l'ideal
du vieux livre renfrogne, l'ideal du _bouquin_, n'a ete mieux exprime
qu'en cette page heureuse; mais M. Joubert y parle surtout au nom
de l'amateur qui veut lire. Il y a celui qui veut posseder. Pour ce
dernier, le gout des livres est une des formes les plus attrayantes de
la propriete, une des applications les plus cheres de cette prevoyance
qui s'accroit en vieillissant; il a ses bizarreries et ses replis a
l'infini, comme toutes les avarices. Les tours malicieux, les ruses,
les rivalites, les inimities meme qu'il engendre, ont quelque chose de
surprenant et de marque d'un coin a part. On a observe que les haines
entre bibliothe
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