n pas des
autres, ou au moins d'en avoir une telle quantite qu'elle puisse
temoigner que l'on s'accommode au temps et que l'on n'est pas ignorant
de la mode et de l'inclination des hommes." En cela Naude preparait
directement les materiaux de l'histoire litteraire, telle que
l'entendait Bacon.
A un certain endroit ou il indique les moyens d'agrandir et d'accroitre
les bibliotheques, on sourit de voir le bon Naude conseiller a mots
couverts la ruse et le machiavelisme dont certains bibliophiles de tous
les temps ont su les secrets. Il ne craint pas d'alleguer l'exemple de
la republique de Venise qui, pour empecher qu'on enlevat de Padoue la
fameuse bibliotheque de Pinelli, la fit saisir au moment du depart,
sous pretexte qu'il y avait dans les manuscrits du defunt des copies
de certains papiers d'Etat. C'est un petit avis que suggere Naude aux
magistrats et personnes en charge ayant bibliotheques, pour en user a
l'occasion et faire main basse sur de bons morceaux; il a toujours eu un
faible pour les coups d'Etat. Que nos bibliophiles, nos chercheurs de
vieux livres ou de manuscrits ne fassent pas trop les indignes;
car eux-memes (je ne parle que de quelques-uns) se jouent encore,
m'assure-t-on, tous les tours possibles, reticences, supercheries entre
amis, que sais-je! C'etait de bonne guerre alors comme aujourd'hui [236].
[Note 236: Parmi les ruses les plus permises, il faut mettre celle que
raconte Rossi dans la lettre ou il parle des acquisitions de Naude a
Rome en 1645. Naude entrait dans une boutique de libraire et demandait
le prix, non pas de tel ou tel volume, mais des masses entieres et des
piles qu'il voyait entassees devant lui. Cette methode inusitee dejouait
un peu le libraire, qui hesitait, qui lachait un mot: on marchandait.
Mais Naude, en pressant, en poussant, en harcelant, enveloppait si
bien son homme, qu'il obtenait de lui un prix dont ensuite l'honnete
marchand, a tete reposee, ne manquait pas de se repentir; car il y
aurait eu souvent plus de profit pour lui a vendre ses volumes au poids
a l'epicier ou a la marchande de beurre. Naude faisait un peu a sa
maniere comme ces paysans bas-normands qui, dans les discussions
d'interet, a force de begayer, d'anonner, de faire le niais, vous
arrachent d'impatience la concession a laquelle ils visent. Il y a ruse
et stratageme a cela, il n'y a pas dol qualifie.]
Dans son enthousiasme et son culte pour la fondation dont il voudrait
doter la France, Naude
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